- Qu'est-ce qu'un gang ?
Connus en Europe surtout à travers des films et des faits divers abjects, les gangs sont une triste réalité des grandes villes américaines, mais pourquoi sont-ils si puissants et si irréductibles aux USA alors que les polices sont implacables ? Et tout d'abord, qu'est-ce qu'un gang ?
Centré sur un territoire qu'il exploite un gang est un groupe de jeunes informel qui s'enrichit par et pour une activité criminelle à finalité hautement lucrative. Le gang associe plusieurs personnes à des degrés divers : il comprend de quelques copains à plusieurs centaines de sympathisants. Tous les membres d'un gang sont jeunes, voire très jeunes (de 10 à 30 ans environ). Ils cherchent à s'enrichir très rapidement en exploitant un " marché " que les entreprises légales ne peuvent ou ne veulent pas s'occuper.
Les gangs nord-américains ont de nombreux points communs avec les mafias étasuniennes des XIX° et XX°s, mais la structure diffère dans la mesure où la mafia est une organisation installée de longue date, à base patriarcale et surtout composée d'adultes. Souvent la mafia a des ramifications internationales que le gang n'a pas. Rien de commun entre les Yakusas et les Triades asiatiques et les gangs bruyants de L.-A.
Au mieux le gang est une proto mafia, un groupe qui, avec des qualités entrepreneuriales peut devenir une mafia installée avec une spécialité et surtout une pérennité ce qui n'est pas toujours le cas d'un gang qui est une structure fragile en interne (luttes entre chefs) et en externe puisque l'Etat peut facilement l'infiltrer et l'éradiquer, avant généralement qu'un autre groupe criminel de vienne le remplacer.
Aux Etats-Unis, le gang a généralement une identité ethnique, alors que les bandes françaises sont plutôt marquées par le quartier. En effet, de par les caractéristiques de la population américaine, largement communautarisée et racialisée, le gang est généralement une " bande ethnique " qui prospère dans un espace lui aussi défini par une origine commune.
Le phénomène a débuté au XIX°s dans les grandes villes de la côte est quand les enfants des immigrés européens fraîchement débarqués de l'ancien monde montaient des groupes de copains pour s'entraider et aussi se défendre face aux autres bandes. Rapidement le groupe défensif et amical est devenu brutal et criminel. Et quand la forte croissance économique élève cette classe ouvrière blanche, les gangs européens disparaissent au profit de gangs composés de ceux qui restent dans ces centre-villes désertés par la petite bourgeoisie, c'est à dire les Noirs et les Latinos. Los Angeles incarne cette mutation.
Il existe donc un lien vital entre gangs et économie puisque l'immigration fournit toujours la main d'œuvre au capitalisme légal et les malfrats au capitalisme illégal.
La structure d'un gang est moitié pyramidale, moitié horizontale : pour chaque opération définie on a un fonctionnement horizontal entre membres plus ou moins égaux (par exemple guetteurs, livreurs...), mais dès que les tâches se complexifient on a une stricte hiérarchie qui remonte jusqu'à un caïd, un chef qui a gagné son autorité par des faits d'armes généralement sanglants. Car tous les membres d'un gang sont avant tout les survivants des violences qui écument en permanence la société américaine. Les gangs se distinguent ainsi des entreprises normales dans la mesure où les " licenciements " sont ici synonymes d'actions violentes : assassinats (par la police, un autre gang ou un règlement de compte interne), arrestations, condamnations ou encore blessures lourdes.
Autre originalité, pour durer et gagner un relatif soutien dans la population (nécessaire face à la police) le gang installé va avoir une vraie politique sociale. Généralement le chef de bande est avant tout généreux, voire chevaleresque puisqu'il protège même symboliquement les faibles. Le modèle féodal n'est pas très loin...
- Un avatar du capitalisme nord-américain
Généralisés dans les pays en développement à Etats faibles (Amérique du sud) les USA sont le seuls pays " riche " a avoir autant de gangs alors même que les services de police sont parmi les plus développés et les plus forcenés du monde.
Dès les origines des Etats-Unis le gang est la structure de base de l'organisation sociale : le film " Gangs of New-York " (réalisation Scorsese, 2002) d'une remarquable véracité historique montre comment un Etat inexistant au niveau social laisse des organisations criminelles gérer la population misérable de la ville : des gangs s'affrontent sans merci pour le contrôle des activités criminelles, généralement l'exploitation d'une main d'œuvre complètement déracinée et inconsciente de ses droits (les Irlandais en l'occurrence).
Le développement des Etats-Unis modernes aux XIX° et XX°s repose donc en parti sur l'association de ces gangs avec les responsables politiques qui utilisent ces organisations, leurs influences et leurs liquidités pour exercer le pouvoir.
Il en résulte dans les années 20 de puissantes mafias qui ne sont que les gangs qui ont réussi dans les années précédentes : la fin d'al Capone est une exception car généralement les mafieux et autres gangsters n'affrontent jamais directement l'Etat, ils collaborent avec lui et les services réciproques sont très nombreux. Le film " les chemins de la perdition " (réalisation Sam Mendes, 2002) montre comment des mafieux installés sont d'honorables bourgeois éminemment respectables vu de l'extérieur qui prospèrent sur la misère de population qui n'intéressent guère l'Etat (immigrés, prostitués, marginaux, volontaires pour les jeux d'argent, etc.). De plus pendant la seconde guerre mondiale la toute nouvelle CIA a fait sortir de prison des mafieux italiens embastillés aux USA pour qu'ils aillent préparer le débarquement us en Sicile, terre promise de l'organisation alors étranglée par Mussolini. De même dans les années 50 à Marseille la CIA s'associe à la mafia corse de Marseille pour limiter l'influence du PC et de la CGT dans le port.
Les gangs ne sont pas capables d'actions si internationales, ils se contentent de gérer un quartier plus ou moins étendu, ce qui n'empêche nullement les accords tacites avec les autorités ou la police, souvent pour " balancer " des gangs concurrents...
Une organisation criminelle durable sait où s'arrêter et surtout sait comment négocier avec les autorités. La violence s'exerce donc en priorité sur des populations rackettées, elles-mêmes peu enclines à appeler la police ainsi que contre les groupes concurrents, jamais contre Monsieur Toulemonde.
Les Etats-Unis reposant sur le capitalisme le plus pur, les gangs ne pouvaient être (et ne sont) que des conséquences directes de la gestion des " marchés " plus ou moins émergents. Là où des entreprises légales ne peuvent prospérer des structures illégales agissent dans tous les domaines possibles : trafic de main d'œuvre à la fin du XIX°s, trafic d'alcool dans les années 1920-30, jeux dans les années 1950... Les gangs ne gèrent généralement que des marchés qui deviennent vite légaux grâce à leurs " amis " politiques.