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Aux sources de la morale sexuelle
"spring breack" ou l'envers du modèle puritain
On a écrit que certains empereurs romains pratiquaient les orgies à des fins politiques et symboliques. Pour montrer leurs pouvoirs Néron et d’autres faisaient de la surenchère vis-à-vis du reste des élites et du peuple, spectateurs sensés être subjugués par l’étalage de richesses et les dominations sexuelles.
Ailleurs et à une autre époque, bien des peuples dits « traditionnels » eurent une morale sexuelle jugée inexistante par les explorateurs européens. Même constat quand on se promène au milieu des spring breack où les étudiants états-uniens s’encanaillent loin de chez eux entre drogues et copulations plus ou moins frénétiques.
Ces comportements orgiaques apparaissent comme des exceptions scandaleuses au milieu d’un monde encore structuré autour du couple monogame « ordinaire » qui exprime parfois un puritanisme. Phénomène courant des petites villes des Etats-Unis aux grandes capitales arabes en passant par les campagnes indiennes. Il est ici question de savoir pourquoi.
Origines et dynamiques du modèle conjugal
La généralisation du couple hétérosexuel stable remonte sans doute à la fin de la préhistoire, au néolithique (ou « nouvelle pierre », vers - 8 000 en Europe).
Ici ou là subsistent des traces d’autres modèles mais force est de constater que le modèle dominant repose sur une forte dose de domination masculine et un partage des tâches intérieur/extérieur net. La filiation se faisant par et pour la patrilinéarité. Les autres formes de famille semblent avoir reculé et largement disparu pendant que les Hommes se sédentarisaient en exploitant terres et bêtes. Faut-il voir dans la révolution néolithique un triomphe de ce modèle masculo-dominant ?
Nous n’avons aucune source crédible sur l’intimité des Hommes préhistoriques. Ils ne fonctionnaient que pour la survie entre deux menaces vitales. Leur comportement se retrouve sans doute dans les derniers Humains vivant en contact direct avec la Nature. Visiblement c’est dans ces conditions que le modèle contemporain est le moins adapté : les enfants sont souvent élevés par le groupe (ou clan-famille au sens large), la paternité est plus symbolique que biologique et la solidarité du clan est égale à sa vulnérabilité face aux changements de l’environnement. La propriété est souvent réduite à quelques objets. Ces structures (se reproduisant à l’identique) ne survivent jamais au choc du contact avec d’autres sociétés plus efficaces en terme de dissipation d’énergie (plus de violence, d’armes, de domination, etc.). Adaptées à un environnement stable, les familles traditionnelles ne le sont pas aux changements sociaux. Cela explique l’anéantissement des peuplades découvertes par C. Colomb et ses successeurs.
Cela impose une morale sexuelle aussi rigide qu’un cadastre dans la mesure
où seul un mariage incontesté rend meilleure une propriété foncière
Après la révolution néolithique qui a sauvé l’Humanité des famines le couple monogame semble s’imposer durablement. Pour quelles raisons ? Il semble que la terre et sa gestion soit le but quasi unique de cette nouvelle forme de famille : l'acquisition d’une terre, sa gestion, sa mise en valeur et surtout sa transmission rend cette famille stable indispensable. L’agriculture et l’élevage sont les seules producteurs de nourritures et de richesses. Cela impose donc une morale sexuelle stable et aussi rigide qu’un cadastre dans la mesure où seul un mariage incontesté et durable rend prospère une propriété foncière. Le tout dans une course entre la production de vivres et l’augmentation de la population. Sans Etat stable à même de régler les conflits entre particuliers, seule une famille fixe peut servir de rempart aux aléas de la propriété. C’est là la naissance du puritanisme et de la pudibonderie qui diabolisent littéralement la sexualité non reproductive et non légale. Aujourd'hui les Amish et autres sectes du même genre perpétuent ce modèle.
Le mari et la femme sont donc toute leur vie durant les propriétaires-gestionnaires de terres agricoles travaillées en famille et transmises ensuite à un ou plusieurs enfants légitimes. Dès lors, le divorce, l’adultère visible ou la contestation de la légitimité de la famille sont synonymes de perte du bien foncier, seul gage de survie. La femme ne pouvant pas toujours cacher physiquement ses relations « hors contrat », c’est elle qui doit encaisser la honte de la « faute ».
Cela explique la rigidité et l’usage de la violence contre les « déviants » : filles indociles, garçons rebelles, minorités sexuelles ou communautaires. Les monothéismes ne sont apparus que bien plus tard et n’ont fait qu’entériner une situation de fait. L’Ancien Testament fourmille d’exemples confirmant cette obsession familiale en lien avec des enjeux ruraux. L’hindouisme indien, plus ancien, scelle le modèle de la même façon. Pour les monothéismes comme pour les polythéismes la terre, elle, ne ment pas !
Le modèle au regard des enjeux contemporains
C’est donc un modèle puritain et rural qui s’impose dans les grandes civilisations qui se développent depuis 10 000 ans. Les relations sexuelles qui mêlaient plaisir et reproduction dans les sociétés traditionnelles et égalitaires sont réduites à la reproduction « légale » et donc à la transmission non contestée des biens immobiliers. Le pouvoir politique fait de même : la royauté se transmet généralement de père en fils ou collatéraux proches. Les « bâtards » sont écartés et le mot même devient infamant. En Amazonie les enfants ne sont ni légaux, ni illégaux…
Si l’adultère devient donc une source de conflits et de violences, la prostitution devient une « solution » qui permet de satisfaire certains besoins sexuels et sociaux tout en préservant le modèle. Il existe peu de traces de prostitution dans les sociétés où la propriété est réduite. Même puritaine, la morale sexuelle dominante n’a jamais cherché à supprimer la prostitution. Tolérée car périphérique elle préserve efficacement le modèle. La "maman" et la "putain" deviennent les deux faces d'une même médaille.
Dès lors, quand le patrimoine est gigantesque ou le pouvoir politique très concentré les comportements sexuels peuvent redevenir « déviants », précisément, pour s’affranchir de la loi commune et asséner l’idée d’une puissance littéralement extraordinnaire : cela explique les orgies (réelles ou supposées) de certains empereurs dont le point commun est justement d’être excessifs. Le Kama Sutra n’est que l’envers d’une sexualité reproductive prude.
Cette attitude de dépassement du modèle persiste aujourd’hui : les populations qui ne sont pas directement en charge de propriétés sont plus à même d’avoir des sexualités récréatives souvent exhibitionnistes : on retrouve cela dans les populations étudiantes (des Etats-Unis) ou les rapports sexuels sont sans effets sur la propriété (ils en ont peu ou pas) ou la famille. Même chose pour certaines célébrités ou grands patrons qui ont (ou auraient) une intimité chaotique, là aussi, ces groupes n’ont que peu de rapports avec les classes moyennes.
A l’inverse les classes moyennes perdent leur rang social quand un divorce vient partager en deux les biens comme les maisons. La séparation légale renvoyant chacun dans sa classe sociale d’origine, généralement cela est vécu comme une déchéance personnelle et sociale. A juste titre car les enfants deviennent plus des charges que des investissements... Ils ne géreront jamais les biens acquis en famille et dispersés.
Demain ?
Bien entendu l’Europe et l’Amérique du Nord ont vu la propriété changer : on s’endette davantage pour une maison que pour une ferme. Mais les problèmes fonciers demeurent encore au Maghreb, Moyen-Orient, Asie… Là aussi les exclus de la propriétés deviennent des fauteurs de troubles sociaux et bien souvent sexuels (viols).
En Occident l’essor des divorces est compensé en partie par la baisse de la natalité : on transmet moins mais à moins de descendants, du coup, la propriété semble se maintenir, mais la faible croissance économique et la hausse des dépenses de services (énergie, informations, équipements, santé, etc.) font décliner la « propriété réelle », victime souvent de vague de spéculations (subprimes) poussant certains à se surendetter pour des studios ou des maisons peu revendables. Dès lors, fragilisées, certaines populations reviennent au fondamentaux du mariage : la quête d’un bon parti et non d’un beau parti. Derrière l’exacerbation d’un modèle sexuel récréatif et festif se cache souvent l’attrait de la stabilité et de la reproductibilité du modèle, seul rempart face aux incertitudes et à un Etat défaillant. C’est l’alpha et l’oméga de certain(e)s immigré(e)s en quête de partenaires.
LIENS :
Sur les "métiers" du X ; Niveau de vie, lachute finale ; Famille, le nouveau paradigme
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021