QUE FAIRE Valeurs et Actions Républicaines

entretien avec Jacques Blamont (membre du CNES, auteur)

Jacques Blamont est membre de l'académie des sciences

il a plublié plusieurs ouvrages scientifiques et politiques

   Comme beaucoup de scientifiques éminents Jacques Blamont a étendu le champ de ses recherches à d’autres domaines que celui de ses origines. Il est considéré comme un des pères du programme spatial européen ; il a pourtant multiplié les livres sur d’autres sujets. Notamment en 1993 avec Le chiffre et le songe. Histoire politique de la découverte (éditions Odile Jacob).
   C’est toujours le cas en 2004 quand il publie Introduction au siècle des menaces, une analyse aussi rigoureuse qu’effrayante sur le XXI°s et la période des années 2050 que l’auteur considère comme réellement critique.
   Depuis 2004 plusieurs événements ont donné raison à ses craintes : la vulnérabilité des côtes à été évidente lors de l’ouragan Katrina en Louisiane et le tremblement de terre à Haïti a illustré ses craintes sur la fragilité des villes pauvres.
    Pour QUE FAIRE il a accepté de répondre aux questions de Denis Gorteau, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Lève-toi et marche (éditions Odile Jacob, 2009).



D. Gorteau : Dans Introduction au siècle des menaces, vous considérez dans la conclusion que l’Humanité n’a aucune chance de sortir de son modèle de développement prédateur. Avez-vous changé d’opinion depuis 2004 ?


J. Blamont : Je n’ai pas changé d’opinion depuis 2004. Au contraire, ma conviction a été renforcée, car l’analyse présentée dans mon livre « Le siècle des menaces », écrit en 2002-2003, ne tenait pas compte d’un phénomène qui a pris beaucoup d’ampleur pendant les années 2000-2010, à savoir l’adoption par les pays émergents (Chine, Inde, Brésil) de la philosophie productiviste et consumériste de l’Occident. La conséquence en est l’accélération de l’appel aux ressources naturelles dont la surexploitation croissante produira les pénuries en nourriture, en eau, en énergie, en matières premières annoncées et discutées brièvement dans ce livre.


D. Gorteau : Non sans arguments vous expliquez que les « solutions » aux problèmes écologiques sont pires que le mal, peut-on être aussi catégorique dans la mesure où nous ignorons les découvertes de demain ?

J. Blamont  : La crise prévisible au milieu du siècle qui vient trouve sa racine dans l’attitude technologique de l’humanité vis-à-vis de la nature. Renforcer cette approche ne peut guérir les maux qu’elle engendre dans un système clos aux ressources limitées. Quand il n’y a plus de phosphates, on ne peut les remplacer. Quand il n’y a plus de poissons, on ne peut plus en pêcher. Quand il n’y a plus de pétrole, il n’y a plus de nitrates pour les agriculteurs. Tout processus industriel est long : des dizaines d’années s’écoulent entre la découverte et la mise sur le marché des produits qu’elle a créés. On ne se rend pas compte de l’énormité de la consommation par rapport aux stocks naturels. Prenons l’exemple très récent des huiles de schiste dont on parle depuis si longtemps pour en extraire le pétrole et qui ont toujours été considérées comme un gisement illimité. La mise au point d’un procédé d’extraction vient d’introduire (l’année dernière) un pactole : les réserves exploitables en ont été doublées. Du coup celles du Canada, deuxièmes du monde après l’Arabie Saoudite, sont estimées à 175 milliards de barils. Comme le monde consomme quatre-vingt cinq millions de barils par jour, vous pouvez calculer que le Canada, grâce à cette découverte mirobolante et si attendue, peut nourrir le monde de pétrole pendant… six ans ! Les réserves de pétrole des Etats-Unis (20 milliards de barils) se verraient ajouter selon les estimations 4 à 22 milliards de barils, donc seraient au mieux doublées, et le tout peut alimenter les Etats-Unis qui consomment 20 millions par jour, pendant.....six ans également!
Le point principal est que la plupart des consommations augmentent de 2% par an (énergie, nourriture, eau, transports, …). La pente est proportionnelle à la valeur de la variable: cela s’appelle une exponentielle. Mais, comme le disent les boursiers, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Notre système ne peut dépasser 2040-2050 sans une crise générale.


D. Gorteau : En 2004 vous étiez peu disert sur le projet ITER (fusion atomique), restez-vous septique aujourd’hui ? De même qu’est-ce qui empêche une généralisation massive de l’utilisation de l’énergie solaire ?

J. Blamont  : ITER a pour objectif d’être la première machine à produire de la puissance grâce à la fusion contrôlée, et se donne vingt ans pour y parvenir. Ensuite un démonstrateur (Demonstrative Power Plant, ou Demo) produisant de l’électricité en forte quantité, commencera ses essais dans les années 2030 et sera connecté au réseau, on l’espère, dans les années 2040. Les promoteurs de la fusion contrôlée annoncent que, si ITER et DEMO réussissent, l’humanité disposera de la technique au cours du dernier quart du siècle. On peut en douter car la physique de la fusion contrôlée s’est révélée plus difficile que prévu et pourrait encore réserver des surprises, car elle est encore dans l’enfance. Et de nombreux problèmes technologiques, touchant en particulier les matériaux, restent inentamés. Disons 2100 avec optimisme.
L’énergie solaire pourrait fournir 10 à 20 % des besoins au maximum en 2050. Son extension à grande échelle rencontrera les problèmes soulevés par les grandes installations industrielles (maintenance, fiabilité, adaptation à la demande, obsolescence des systèmes et des composants) dont la nature et donc les solutions sont encore inconnues.

D. Gorteau : En 2004 vous expliquez comment les virus résistent de mieux en mieux aux médicaments. Redoutez-vous toujours une pandémie ? Dès lors pourquoi les alertes comme les grippes ou le SRAS sont-elles de faible ampleur ? Nos systèmes immunitaires s’adaptent-ils aussi ?

J. Blamont  : Oui je crois que des pandémies nous menacent, à cause de la mutabilité du génome des virus et bactéries. On l’observe avec les épizooties : les cheptels d’animaux domestiques (poules, moutons, porcs, bovins) sont régulièrement décimés par des maladies nouvelles en dépit des antibiotiques dont on les gave, et en fait justement à cause de cette diététique qui favorise l'apparition de variétés résistantes. La communauté épidémiologique internationale s'inquiète des mutations qui pourraient faire passer les maladies à l’homme. C'est pourquoi elle prône que chaque signal même infinitésimal d'un tel saut soit accompagné de vaccinations en masse, comme ce fut le cas pour le virus H1N1. Il se trouve que ce virus n'a pas muté ; ce n'est pas une raison pour ne pas craindre qu’un autre microbe habitué chez un animal sauvage ou domestique décide, lui, de muter vers une virulence forte chez l'homme. Tous les spécialistes sont persuadés que cet événement se produira et se reproduira à plus ou moins brève échéance.
A cette inquiétude s'ajoute celle qui provient de la résistance croissante des bactéries aux antibiotiques, nourrie par leur emploi excessif, surtout comme je l'ai dit précédemment, avec les animaux domestiques, et les mauvaises pratiques hospitalières, sources de maladies nosocomiales. Les cordons sanitaires, les alertes, les vaccins et les soins ont prouvé leur utilité; mais les tendances précédentes peuvent submerger nos défenses. Sans compter l'avènement probable dans les trente prochaines années d'un terrorisme biologique dont les ravages médiatiques seraient plus graves que les effets médicaux.

D. Gorteau : Pour vous la période 2050 apparaît critique, les énergies fossiles vont concrètement se raréfier et jamais l’Humanité n’aura été aussi nombreuse.
Mais les plus pauvres ne vont-ils pas « simplement » mourir précocement comme aujourd’hui en Afrique ? Les inégalités mondiales ne vont-elles pas croître plus vite et entraîner un monde comparable au Brésil actuel ?

J. Blamont  : En dépit de sida et des pénuries actuelles, la population de l'Afrique augmente rapidement et se bidonvillise. Voyez le cas du Nigeria dont la population doublera d'ici 2050, passant de 150 à 300 millions. Riche, le pays est pourtant au bord de l'anarchie. Que se passera-t-il en Algérie, au Maroc qui comptent aujourd'hui l'un et l'autre 35 millions d'habitants, atteindront 55 en 2050 alors que leurs ressources (pétrole, phosphates) s'épuiseront ? L'amélioration des rendements agricoles et les subventions dans les pays industrialisés chassent les paysans vers les villes. Les inégalités s’accroîtront entre les nations développées et les autres, et aussi, dans chaque nation non développée, entre les riches et les pauvres. Elles seront aggravées si le changement climatique se révèle aussi important que le prévoit le GIEC, car les régions tropicales y seront très sensibles.


D. Gorteau : Vers 2050 précisément la population mondiale devrait commencer à stagner, ne sera-ce pas le début d’une ère nouvelle ou justement l’énergie pourrait être moins ou plus utilement consommée ?

J. Blamont  : Si l'augmentation de la population aura certainement ralenti, en 2050 elle vaudra encore trente millions par an, montrant ainsi une pente qui pourrait la faire culminer vers dix milliards à la fin du siècle (évolution selon l'hypothèse moyenne de fécondité adoptée dans les statistiques de l'ONU). L’urbanisation qui atteindra 80 % au moins est un mode de vie dispendieux, gaspilleur d'énergie et de ressources.


D. Gorteau : vous avez récemment échangé avec un théologien dans Lève-toi et marche en espérant que l’Eglise catholique puisse inciter l’Humanité à plus de frugalité, croyez-vous cela concrètement possible eu égard à vos analyses de 2004 ?

J. Blamont  : Depuis la publication de mon livre, j'ai rencontré, pour le leur présenter, plusieurs prélats qui exercent des responsabilités élevées dans le gouvernement de l'Eglise catholique. Tous m’ont accueilli avec courtoisie et même bienveillance, mais aucun ne m'a laissé croire que mes préoccupations pourraient influencer leur institution qui a d'autres soucis plus urgents. Je crois comprendre qu'elle ne s'avancera guère au delà de l’encyclique promulguée en 2009 dans l’indifférence du public. Quant à l’Académie pontificale des sciences, sur laquelle j'avais fondé de l'espoir, elle ne bougera pas.


D. Gorteau : Au risque d’être pessimiste, ne pensez-vous pas que l’effondrement de notre civilisation a déjà commencée ?

J. Blamont  : Non, notre civilisation n’a pas commencé à s’effondrer : les foyers de violence et les conflits sont localisés, le monde développé jouit de la paix et d’une prospérité inconnue dans l’histoire, la durée de la vie continue à augmenter, les pays émergents voient leur niveau de vie croître, un consensus sur les mœurs, les droits de l’homme et même le bien et le mal transcende les frontières grâce à une communication universelle : je ne reçois donc aucun symptôme d’effondrement et n’hésite pas à qualifier d’heureuse la période que nous traversons.
Le problème est que ce bonheur ne peut durer parce qu’il repose sur une exploitation exagérée de la nature. C’est à l’horizon du demi siècle qu’il faut prévoir l’effondrement.

Lève-toi et marche, dernier ouvrage de Jacques Blamont

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(d'après les donnés de "introduction au siècle des menaces")

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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