QUE FAIRE Valeurs et Actions Républicaines

Géopolitique de la guerre en Syrie

 

Depuis la prise de pouvoir par la famille Assad (1970) la Syrie n’a jamais été un facteur de stabilité. Prise en tenaille entre un Liban en guerre civile et un Etat d’Israël surpuissant Damas a cherché à préserver son régime dont le seul avantage était d’être durable. En interne il fut toujours d’une brutalité impressionnante et en externe il utilisa toutes les techniques interdites pour décourager les velléités d’intervention

Tout était bon pour durer : le régime fut avec les preneurs d’otages libanais dans les années 80, aux côtés des Etats-Unis contre l’Irak en 1991, et derrière les « palestiniens » mais uniquement dans le but de manipuler leurs organisations… De même il aida la PKK contre la Turquie avant de se retourner contre lui et de nier toute autonomie aux syriens kurdophones.

L’arrivée aux affaires de B. el-Assad en 2000, fils du fondateur du régime, laissa espérer une relative ouverture… vite liquidée au nom des intérêts des clans au pouvoir !

Face à une révolte populaire non violente, massive et apolitique le régime a vite choisit la répression. C’est alors que certaines puissances régionales en ont profité pour intervenir de plus en plus directement, déclenchant ipso facto une guerre civile. En effet, la position stratégique de la Syrie vaut toutes les interventions.

Imaginer deux adversaires serait simpliste car les ingérences extérieures multiplient les fronts.


La Turquie dans le « grand jeu »

La Turquie de R. Erdogan préféra longtemps avoir de bons rapports avec sa voisine du sud. Depuis des années déjà Damas avait abandonné le soutien actif aux séparatistes kurdes du PKK en échange d’une meilleure répartition des eaux fluviales. Mais une fois la révolte anti Assad déclenchée (mars 2011) Erdogan ne donna pas cher du régime baasiste. Sunnite et issu des Frères Musulmans turcs le premier ministre imaginait que le printemps arabe allait emporter un régime autoritaire de plus. Or, sachant les Frères Musulmans syriens en bonne place dans l’opposition en exil il préféra parier sur la chute de la maison Assad et, qui sait, développer la puissance commerciale de la Turquie.

De plus, les liens avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le reste de l’Europe dont la France incitaient Ankara a vite soutenir les militaires syriens déserteurs, « l’armée syrienne libre » (ASL). Or, voyant le régime tenir et les réfugiés affluer, la Turquie se retrouve en position délicate. D’autant plus que certains syriens kurdes appartiennent à la même mouvance que le PKK.

Faut-il y voir une guerre civile dans la guerre civile ?

La situation au Kurdistan syrien est d’ailleurs confuse. Des milliers de civils fuiraient en Irak la violence de groupes arabes djihadistes alors qu’au moins trois factions armées syro-kurdes s’accusent de trahison… Le PKK syrien se dispute la région avec les deux organisations syro-kurdes affiliées aux deux grands partis kurdes d’Irak. Faut-il y voir une guerre civile dans la guerre civile ?

La Turquie est donc presque en position d’arroseur arrosé… De son côté de la frontière les groupes armés syriens ne sont pas tous contrôlables. Un groupe lié à Al-Qaïda aurait été stoppé avec deux kilos de gaz mortel ! Et en mai 2013 un attentat a visé une petite ville non loin de la frontière. Bilan : 50 morts et aucune certitude sur les commanditaires de l’attaque… Damas a-t-elle les moyens d’exporter la guerre en Turquie ?


Le dilemme israélien

Israël n’a jamais eu de sympathie pour le régime baasiste. C’est une certitude. Mais depuis la défaite de 1973 Damas avait assuré une frontière stable et sans menace à Israël. Ne voulant nullement risquer une guerre forcément perdue Assad père puis fils avaient plutôt parier sur le Hezbollah libanais pour gêner Tel-Aviv dans son voisinage (guerre de 1996 et 2006).

Israël s’était donc contenté de surveiller au plus près l’ex adversaire et intervenait très ponctuellement comme en 2007 pour bombarder un centre de recherche nucléaire. Damas resta de marbre. Or, depuis le soulèvement de 2011 l’Etat juif est resté discret, réagissant de manière limitée quand des obus tombent sur son territoire depuis le sol syrien. Le pouvoir syrien laisse-il des groupes armés tirer sur Israël pour annoncer le désordre qu’entraînerait sa chute ? Probable.

En tout cas la circulation d’armes chimiques semble être la seule chose qui inquiète vraiment les Sionistes : l’aviation israélienne a bombardé à deux reprises de possibles stocks ou convois d’armes chimiques à destination supposée du Hezbollah.

A Tel-Aviv c’est donc l’attentisme qui prévaut. Les déclarations publiques sur la Syrie sont rares. Comme si on n’osait pas dire qu’on préfère presque un ennemi connu et contrôlé à un chaos ingérable et violent…


Le Liban dans l’œil du cyclone ?

Au Liban comme ailleurs, des milices...

La Syrie a toujours considéré le Liban comme son arrière-cours. Le pays a été occupé par Damas environ 30 ans et le pays est divisé en partisans et adversaires du puissant voisin. Si personne ne veut d’une nouvelle guerre civile, les factions politiques utilisent parfois la violence pour réagir aux épisodes du conflit.

Extrémistes sunnites et partisans de l’Occident ne cachent pas leur opposition aux autorités syriennes, les réfugiés syriens au Liban sont priés de ne pas afficher leur soutien à Damas. A l’inverse le puissant Hezbollah et les partisans du chrétien M. Aoun affichent une proximité avec Assad. Comme toujours, c’est le rejet de l’adversaire qui motive les choix. Le Hezbollah a même envoyé des soldats aider Damas à reconquérir avec succès la ville stratégique de Qoussaïr (juin 2013).


L’Irak et le spectre de la guerre civile

L'Irak, 10 ans de guerre civile larvée...

Autre voisin direct de la Syrie, l’Irak. La guerre civile à l’ouest semble avoir réactivité la guerre civile à l’est ! Proche de l’Iran le gouvernement chiite de Bagdad affiche un soutien passif à Damas. Or, peu installée dans l’ouest sunnite l’armée de Bagdad a vu les groupes sunnites extrémistes se réactiver et agir de nouveau à Damas comme à Bagdad. En effet des attentats suicide n’ont cessé de viser Chiites irakiens et autorités syriennes. Le bilan de ces actions est extrêmement lourd, des centaines de civils ont perdu la vie dans cette vague de terreur.

Qui leur barre la route risque d’être considéré comme un ennemi

Le Front Al Nosra se revendique d’Al Qaïda et bouscule souvent les rebelles de l’Armée Syrienne Libre ou même les autonomistes kurdes du PKK syrien… Incontrôlable et parfois très violents ces groupes peuvent compter sur les fonds et l’aide de réseaux sunnites bien installés dans en Arabie Saoudite et dans le Golf… Là aussi, leur utilité est de combattre les Chiites en Syrie, en Irak et ailleurs… Qui leur barre la route risque d’être considéré comme un ennemi. C’est pour éviter leur montée en puissance que l’Occident déclare ouvertement armer les groupes d’opposants non islamistes.

Les premiers djihadistes syriens furent longtemps enfermés dans les prisons du régime, ils furent libérés assez vite après le début de la guerre civile. Une stratégie pour infester l’opposition d’éléments incontrôlables ? Possible. En tout cas, l’ASL et des groupes islamistes se combattent fréquemment dans les zones perdues par l’armée régulière.

De plus, les exactions parfois filmées de fanatiques islamistes discréditent toute l’opposition et pousse les minorités religieuses à préférer le Baas à l’aventure de l’opposition. Il n’en était pas ainsi au moment des manifestations pacifiques…


Les alliés lointains de Damas

Mais les pays directement frontaliers ne sont pas les seuls à avoir des intérêts dans le conflit. L’Iran et la Russie sont les principaux parrains de la Syrie baasiste. En effet Moscou a toujours été un vendeur d’armes et avec la chute d’Assad la Russie perdrait son seul port en Méditerranée (Tartous).

Pour Pékin et Moscou les Occidentaux ont abusé du droit international dans la guerre en Libye. Le deal était à l’époque de protéger les civils via une zone d’exclusion aérienne. Le but était de pousser Kadhafi à négocier, nullement à aider la rébellion à liquider le « Guide » libyen… Fort de cet abus de pouvoir la Russie et la Chine refusent catégoriquement que l’ONU soutienne la moindre résolution ouvrant la possibilité à une action militaire « légale ». Même l’utilisation possible d’armes chimiques par Damas n’est pas de nature à changer la position des Russes et des Chinois. Sur place on doute officiellement des « preuves » avancées contre l’armée régulière.

Pour l’Iran, le soutien à Damas relève de la géopolitique régionale : il s’agit de refuser la chute d’un pays qui résiste à l’Occident et aux pays sunnites comme l’Arabie Saoudite, grand rival de l’Iran.

Des iraniens et des liquidités transitent par l’Irak et vont épauler le régime baasiste. Pour Téhéran, une Syrie livrée aux djihadistes et aux groupes sunnites seraient un allié de moins et une menace pour l’allié irakien…


Paris, Londres et Washington…

Contrairement au précédent libyen les puissances occidentales hésitent sur l’opportunité d’intervenir en Syrie. Il est avéré que la fin du régime des Assad entraînerait une période de désordre dangereux pour toute la région. Rappelons que des régions entières de la Libye échappe aux autorités mises en place avec l’aide militaire de Londres et Paris.

Obama reste d’une prudence certaine, il redoute un effet boomerang comme en Irak en en Afghanistan où des milliers de soldats et des milliards de dollars ont été perdus pour rien. Néanmoins l’axe occidental semble décidé à précipiter la chute du maître de Damas. Etrange obstination qui ne se donne pas les moyens d’agir et qui arme tout de même des rebelles plus inorganisés et versatiles que jamais.


La guerre en Syrie n'est donc juste une guerre enre Syriens, mais bien un affrontement régional. Comme la guerre en Irak après 2003, le conflit actuel déplace des millions de réfugiés et tue des dizaines de milliers de combattants et de civils. Aucune solution militaire ne pourra sortir le pays de l'ornière. Une négociation entre puissances est une nécessité pour aboutir. Or, comme en Afghanistan jadis nous en sommes encore loin...

Liens : analyses géopolitiques sur la Syrie et d'autres conflits (Egypte...)

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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