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Où va la Libye ? Quatre mois de conflit

Pourquoi l'étrange colonel tient-il ?

I. Bilan des folles années Kadhafi

Après 2003 le régime de Kadhafi est passé de la résistance à l’Occident à une franche collaboration avec lui. D’un coup, et surtout après la libération des infirmières bulgares (2007), le régime du « guide » est devenu un excellent client pour les firmes occidentales jadis fustigées : la Société Générale a ainsi reçu des millions de dollars d’avoirs libyens et les firmes pétrolières anglo-américaines ont massivement investi en Libye, le tourisme s’est même développé (lien)…

Honni par ses pairs arabes qu’il a toujours gêné et insulté, Kadhafi a pourtant réellement contribué à développer l’Afrique en finançant l’OUA et aussi en payant largement des projets concrets de développement comme le lancement du premier satellite de télécommunications africain (2007).

En interne Kadhafi impose certes une tyrannie toute orientale mais a aussi mis l’argent du pétrole au service de sa population tout en assurant une relative mais réelle promotion de la femme. Quand il s'impose en 1969 les Libyens sont les plus pauvres du continent, aujourd'hui ce sont les mieux dotés. Notons aussi que seul l’autorité suprême du « guide », sorte de chef des chefs tribaux unit un pays aussi vaste que disparate (plus de 1 700 000 km², soit plus de 3 fois la France).

La Libye était donc l’anti Irak de S. Hussein : un régime certes brutal et "familial", animé par une personnalité loufoque, mais franchement du côté de l’ordre américain. D’ailleurs, les premiers contacts entre Tripoli et Washington eurent lieu sur fond de lutte commune contre les groupes djihadistes dans les années 90. Avant la guerre de 2011 les tendances les plus libérales du régime agissaient même ouvertement avec Saïf al Islam, fils du "guide" (lien). Les USA se contentent de cette situation, les cables révélés par Wikileaks montrent la passivité de Washington devant un Kadhafi en mauvaise santé mais calme.

En 2007, chacun se souvient du tapis rouge déroulé par l’Elysée pour recevoir un ex parrain du terrorisme international… Mais en 2011 c’est le même Sarkozy qui pousse les feux de la guerre contre l’un de ses meilleurs clients. Pourquoi un tel retournement qui a mené à une guerre aussi incertaine que coûteuse ?

Pourquoi Sarkozy a-t-il si brutalement attaqué son "ami" ?

 II. Une guerre française ?

La contestation du régime libyen s’inscrit dans le fil des révolutions arabes de l’année 2011 mais s’en distingue de plusieurs façons :

- Les manifestations n’ont pas été aussi populaires qu’en Tunisie et Egypte, seule une partie de la population a manifesté contre le régime avant que des groupes très organisés n'arment le soulèvement.

- L’opposition est avant tout régionale. Seule la partie est, la Cyrénaïque, et les membres de certaines tribus sont résolument hostiles au régime. Les soutiens habituels de Kadhafi semblent avoir respecté leur alliance historique avec le « guide ». Les Touaregs notamment.

- Contrairement aux républiques voisines, la situation sociale en Libye n’a jamais été explosive : peu ou pas de chômage chez les nationaux et surtout le besoin d’une nombreuse immigration qualifiée ou non que la guerre a définitivement ruiné. La population libyenne est comparable à celle d’un émirat pétrolier : fort niveau de vie et pléthore d’immigrés pour réaliser les travaux boudés par les nationaux.

Reste que c’est bien la France et la Grande Bretagne qui ont déclenché la guerre de « protection des civils » contre l’ex-client de Paris. Or, derrière les prétextes humanitaires habituels, on peut se demander les raisons de cette brusque volonté d’en découdre avec le « guide ».

Les vraies raisons de l’entrée en guerre de la France sont floues

Les vraies raisons de l’entrée en guerre de la France, peu soutenue par le reste des pays européens et techniquement aidée par les USA, sont floues :

Il semble que Sarkozy, dépassé et ridiculisé par la chute de Ben Ali et Moubarak ait souhaité se « refaire » en frappant un tyran honni des milieux bien pensants qu’il fréquente (BHL entre autres). De plus, une guerre gagnée à quelques mois d’une présidentielle disputée aurait été une bonne chose alors que Sarkozy reste d'une impopularité historique.

De plus, le gel des avoirs libyens en Europe représente des dizaines de milliards d’euros. Qui va gérer cet argent pendant les hostilités ? Les banques dépositaires. C’est-à-dire des amis du président. Ce dernier s’est d’ailleurs positionné contre leur mise à contribution dans le dossier de la dette grecque. Un hasard sans doute...

Il aussi faut dire un mot de l’enjeu pétrolier. Kadhafi avait largement ouvert le pays aux multinationales occidentales. Bouygues était bien implanté à Tripoli, mais c’est plutôt les firmes anglo-saxonnes et chinoises qui sont positionnées dans le pétrole, pour Paris, un soutien massif à l’opposition pouvait servir de passeport pour l’accès prioritaire au brut libyen proche de l’Europe. Sarkozy a-t-il voulu faire comme Bush en Irak ? Malgré l’échec moral et politique de l’invasion de 2003, les USA restent aujourd'hui prioritaires dans le pétrole irakien.

L’aide technique états-unienne serait une classique stratégie anti-chinoise. Aux USA on redoute que la Chine dépasse les Etats-Unis avant 10 ans, la fermeture d’accès au pétrole pourrait donner du temps aux USA, cela explique le soutien de la Chine au Soudan et ses critiques sur l’intervention de l’OTAN en Libye.

III. Vers l’irakisation ?

La rébellion, baptisée Conseil National de Transition (CNT) incarne cette révolte contre Kadhafi. Il a été reconnu très vite par Sarkozy et depuis par quelques autres pays. Or, la composition de cet organe est plus qu’inquiétante. En effet, localement la rébellion a pris un tour bien peu sympathique : alors qu’en Tunisie et en Egypte la jeunesse et les travailleurs ont été en pointe de la contestation, les rebelles libyens ont davantage été des factions tribales hostiles de tout temps aux clans de l’ouest. De plus, à Benghazi les maffias enrichies dans le départ de clandestins ont aidé la rébellion suite à la lutte des autorités contre ces trafics humains.

Ailleurs, des immigrés africains, assimilés aux mercenaires ou à des Etats soutenant Tripoli ont été volés, torturés, massacrés… Le régime n’a donc nullement le monopole des violences inexcusables. Pire, à Ziaouia (ouest) les rebelles ont massacré et mutilé des dizaines de supposés partisans du régime durant des jours… Les médias occidentaux n’ont nullement commenté cette affaire. Comme dans les guerres yougoslaves les médias ont choisi un camp et relaient la propagande de Paris et de Benghazi. Peu de journalistes connaissent le pays et Kadhafi a toujours été, à juste titre, suspect.

Paris minore le caractère dangereux de cette « opposition » peu démocratique

Le CNT est composé de plusieurs factions bien peu cohérentes : les démocrates au sens occidental du terme y sont rares. On trouve plutôt des transfuges du « guide » et des islamistes divers et variés (Frères Musulmans, djihadistes, monarchistes…). Paris, à la pointe du soutien militaire et financier aux rebelles, minore sciemment le caractère dangereux de cette « opposition » bien peu démocratique. Rappelons que des soldats français meurent en Afghanistan en luttant contre ces mêmes islamistes armés. D'ailleurs des tonnes d'armes circulent dans le secteur depuis que Kadhafi ne contrôle plus ses frontières, AQMI en serait l'une des bénéficiares (lien)... La Libye fut d'ailleurs le pays ayant le plus de ressortissants impliqué dans Al Qaïda en Irak...

L’est du pays en insurrection est encore très sensible aux idées monarchistes interdites après le coup d’Etat de Kadhafi en 1969. La secte senoussi incarne cette volonté de revenir purement et simplement à une monarchie austère. Aspiration tribale nullement représentative du reste du pays.

Le CNT a aussi donné des signaux politiques sur sa vision de la future Libye : si les déclarations démocratiques sont légions, il est aussi fait mention de la « protection » des compagnies étrangères et de la charia comme seule source du droit. Une façon de rassurer les intérêts étrangers alliés du CNT et de donner des gages aux islamistes nombreux dans les rangs de l’opposition.

Aujourd’hui le front entre partisans et opposants à Kadhafi se situe à peu près entre l’est et l’ouest, avec quelques positions tenues par l’opposition à l’ouest comme le port de Mistrata, possible tête de pont pour un débarquement car seules des forces terrestres occidentales pourraient abattre le pouvoir de Tripoli.

Les opérations de l’OTAN ont certes sauvé le CNT d’une déroute militaire certaine mais surtout illustré une fois de plus la duplicité de l’Occident prompt à intervenir pour contrôler des champs de pétrole quitte à pactiser avec des groupes se réclamant de Ben Laden.


Comme l’Irak post S. Hussein la Libye de 2011 sombre dans le régionalisme armé et la guerre civile sur fond de clanisme et d’ingérences extérieures. Or, alors que Bush avait « gagné » la guerre stricto sensu en quelques semaines, Paris et Londres ne savent comment abattre Kadhafi qui tient toujours ses fiefs traditionnels. Son élimination physique, pourtant nullement autorisé par l’ONU, semble la seule issue. Elle a été tentée à plusieurs reprises et a même coûté la vie à un de ses fils et petits-enfants. L’OTAN reconnaît par ailleurs plusieurs « erreurs » ayant coûté la vie à des civils. Que faut-il el conclure alors que cette guerre sarkozienne coûte à la France 1 million d'euros par jours (d'après l'état-major français) ?

 

Ce texte s'inspire du rapport sur la situation en Libye accessible sur le site du CF2R

Textes sur la guerre en Libye dans la page GEOPOLITIQUE

Video de M. Collon en Libye sur un site civil bombardé par l'OTAN (choquant)

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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