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Alain Chevalérias répond sur daesh (07/15)

Chevalerias

Alain Chevalérias (2013)

"l’Etat Islamique n’est rien d’autre qu’un groupe armé"

D. Gorteau : Pour  vous,  qu’est-ce  que  l’  «  Etat  Islamique   »  ?  Un  groupe armé ? Un groupe terroriste ? Une région sunnite séparée de l’Irak ? Autre chose ?

A. Chevalérias : D’habitude, je préfère utilise l’expression Daech, acronyme en arabe des mots Etat Islamique. D’abord, et contrairement à ce que ses chefs voudraient nous faire croire, ce n’est pas un Etat. Ceci pour une raison simple : le prétendu Etat Islamique n’est pas reconnu de jure par la communauté des Etats, réunie aujourd’hui au sein des Nations Unies. Sans en arriver même à cette étape, pas un seul pays aujourd’hui ne le reconnaît. Serait-il pour autant un califat ? Le titre califal n’entre pas dans nos catégories juridiques occidentales. C’est donc à la tradition musulmane qu’il faut se référer. D’abord, rien dans le coran ou dans les propos authentiques de Mahomet rapportés par  ses  compagnons  n’impose  aux  musulmans  de  se  donner  un « calife ». Pendant des siècles, habitude a seulement été prise par les musulmans de se donner un chef (1), plus politique que religieux (2), le calife. Ce n’est donc pas une obligation religieuse. Ensuite, dans l’histoire, sauf quand rarement le titre a été pris  de  vive  force,  le  calife  devait  jouir  d’une  certaine légitimité, consacrée par la reconnaissance de la population, sinon  des  notables.  Or,  si  aujourd’hui,  du  Maghreb  à l’Afghanistan,  « l’Etat  Islamique »  a  des  partisans  qui  le soutiennent,  force  est  de  constater  qu’ils  sont  un  nombre infime. Le sentiment de rejet qu’il inspire aux musulmans est bien plus généralisé que la fascination fanatique qu’il inspire à cette infime minorité. Ces deux constats amènent à conclure que l’Etat Islamique n’est rien d’autre qu’un groupe armé. Mais est-il terroriste ? Nous n’imposerons pas au lecteur une fastidieuse  réflexion  sur  le  sens  du  mot  terroriste.  Qu’il suffise de noter que l’Etat Islamique exécute des populations civiles  ou  des  combattants  désarmés  en  raison  de  leurs appartenance religieuse, raciale ou politique. Par ce moyen, il cherche à imposer son autorité ou à provoquer des exodes en masse. Il recourt aussi aux attentats-suicides qui touchent des populations civiles. Cela suffit donc pour dire que, recourrant à des techniques terroristes, l’Etat Islamique est un groupe armé et terroriste.

un "fait d'arme" de Daesh...

"recourrant à des techniques terroristes, l’Etat Islamique est un groupe armé et terroriste."

 

D. Gorteau : Quand  vous  êtes-vous  rapproché  du  théâtre  des  opérations syrien ? Qu’y avez-vous constaté ?

A. Chevalérias : D’abord,  pour  le  moment,  et  ce  depuis  le  début  de  la Révolution, je ne me suis pas rendu en Syrie. Je n’ai fait que rencontrer  des  réfugiés,  des  combattants  et  des  politiques syriens  de  l’opposition,  beaucoup  plus  rarement,  proche  du pouvoir en place. Sinon, je me suis intéressé dès le début au soulèvement contre le régime en place. Il était en effet alors raisonnablement indépendant idéologiquement des puissances étrangères et, alors non-violent, mettait en évidence toute une richesse politique en gestation. Ceci par réaction contre le la tyrannie des Assad mais aussi en se démarquant de l’islamisme politique des Frères musulmans (3). Rapidement,  les  désertions  de  militaires  sont  devenues si importantes que, si la Russie et surtout l’Iran et le Hezbollah n’étaient pas intervenus, le régime aurait dû s’effondrer en quelques mois. Seul le groupe ethno-religieux auquel appartient le  Président  Assad  aurait  résisté,  replié  sur  le  « Jebel Alaouite », autour de la région de Lattaquié. La situation a ensuite crû en complexité. D’une part en raison des  divisions  entre  les  groupes  armés  et  politiques  de  la Révolution,  ensuite  avec  l’intervention  des  mouvements jihadistes.  Ces  derniers,  faut-il  dire,  ont  bénéficié  de l’aide,  sinon  au  moins  de  la  neutralité  bienveillante,  de plusieurs pays comme la Turquie et certains Etats arabes. Le régime d’Assad lui-même a favorisé la montée en puissance de l’Etat Islamique, en libérant de ses prisons des jihadistes qu’il y retenait en 2011. Ces derniers on rejoint les rangs de leurs frères  jihadistes  en  Syrie.  On  comprend  que,  par  ce moyen,  le  régime  d’Assad  voulait  diaboliser  la  Révolution syrienne.

 

D. Gorteau : Officiellement l’Etat Islamique souhaite conquérir le monde. Soit. Mais la concurrence entre groupes jihadistes est sévère. Pensez-vous  que  l’Etat  Islamique  a  un  avenir  en  dehors  du secteur irako-syrien ?

A. Chevalérias : L’expansion à la planète est un fantasme Islamique commun à toutes  les  religions  universalistes  à  commencer  par  les religions  chrétiennes.  Ce  n’est  donc  pas  ce  qui  fait l’originalité de l’Etat Islamique. En revanche, ce groupe armé génère des contradictions qui seront à terme mortelles pour lui. Toutes les analyser serait tâche trop ardue dans cette interview. On peut néanmoins en citer quelques-unes : l’Etat Islamique s’affirme  musulman,  pourtant  il  recourt  à  des  méthodes contraire à l’islam comme les exécutions massives de chrétiens. Il  veut  fonder  un  Etat,  mais  il  pratique  une  économie  de prédation basée sur la destruction, contraire à la pérennité d’un Etat. Nombre de ses chefs se disent défenseurs de l’islam alors qu’ils ne sont pas des pratiquants assidus etc... Surtout, prétendant apporter l’unité de tous les musulmans avec le califat, en fait il divise un peu plus les musulmans, d’une part,  les  islamistes  d’autre  part.  On  a  vu  plus  haut l’institution  califale  avoir  besoin  d’un  certain  unanimisme pour exister. Imposant une vision sectaire de l’islam, l’Etat Islamique  provoque  au  contraire  des  réflexes  de  rejet puisqu’il refuse, jusqu’à les tuer, tous ceux qui n’acceptent pas son idéologie. Cet état de fait est renforcé par la compétition dans l’horreur qu’il a lancée avec les autres mouvements jihadistes. La peur qu’il génère se retourne contre lui, suscitant la volonté de l’occire de la grande majorité des musulmans, mais aussi des jihadistes concurrents, comme par exemple Al-Qaïda (4). A cela il faut ajouter un point important : l’Occident dispose d’une réserve de forces militaires basées sur la technologie qui,  pour  être  insuffisante  au  sol,  n’en  est  pas  moins destructrice à partir du ciel. Or, un Etat pour se développer, a  besoin  d’un  minimum  de  structures  organisationnelles,  de moyens de communication, d’énergie, de stocks d’armes et de munitions  pour  combattre  etc...  Tout  cela  représente  des centres stratégiques qui sont des points de vulnérabilité. L’Etat Islamique,  même  s’il  n’est  pas  un  Etat,  tend  à s’organiser  comme  tel.  Plus  il  s’organise,  plus  il  est vulnérable face à l’Occident. Et, plus il s’organise, plus il fait peur à l’Occident, menaçant la stabilité mondiale. Comme on la voit déjà balbutiante, c’est une coalition d’une force la dépassant largement à laquelle l’Etat Islamique devra faire face. Sur  la  durée,  lui  restera  éventuellement  sa  capacité  de nuisance  terroriste  en  reprenant  la  forme  d’un  groupe  armé vivant dans la clandestinité. Mais à faible amplitude, compte tenu  du  peu  de  soutien  dont  il  bénéficiera  de  la  part d’éventuels Etats, et pour peu de temps. Même si votre question est pertinente, ce n’est pas à la survie de l’Etat Islamique que nous devrions nous attacher, mais à la survivance  de  l’idéologie  jihadiste.  Et  là,  comme  pour  le terrorisme,  nous  remontons  à  deux  piliers :  l’injustice  etl’idéologie. Pour l’injustice, penchons-nous sur nos erreurs.Pour l’idéologie, elle est co-existentielle de l’islam et est née sous certaines des tentes des successeurs de Mahomet. Pour l’éradiquer, il faut l’instruction (5) et le recours à l’islam pour démontrer la fausseté des théories extrémistes.

"Les chrétiens seraient bien incapables de revendiquer

un territoire cohérent et continu en Irak ou en Syrie"

 

D. Gorteau : En  Syrie  comme  en  Libye  ou  en  Irak  les  pays  éclatent  enchefferies rivales à base ethno-religieuse. Pour vous, est-cela fin des frontières et des Etats post-coloniaux   ? Sur le longterme est-ce porteur d’avenir ou de conflit sans fin ?

A. Chevalérias : Nous n’en sommes pas encore à l’éclatement de ces pays, parce qu’il  existe  encore  des  habitudes  et  une  volonté  de  vivre ensemble, qui se sont forgées en un siècle pour les pays duMoyen-Orient (6). Seuls les Kurdes pourraient saisir l’occasion pour chercher à fonder leur Etat. Néanmoins, si les troubles vont croissants, une recomposition des frontières du Moyen-Orient n’est pas impossible. Mais, d’une part, cette recomposition sur la base des ethno-religions  serait  difficile  et  douloureuse.  En  effet,  les membres de ces différentes ethno-religions sont souvent très dispersés.  On  retrouve  de  leurs  minorités  partout.  Les chrétiens, par exemple, seraient bien incapables de revendiquer un territoire cohérent et continu en Irak ou en Syrie. Pour  constituer  des  masses   homogènes  de  populations,  on assisterait  à  de  nouveaux  conflits  accompagnés  d’exodes massifs. D’autre part, même si la région parvenait à se redessiner surla base d’Etats ethno-religieux, les conflits ne cesseraient pas entre eux, au contraire, pour s’assurer le contrôle de nouvelles  terres,  des  ressources  en  eau  ou  des  nappes pétrolifères. Ce serait une nouvelle cause de désordres. Le seul bénéficiaire d’une telle situation, du moins dans la tête de certains responsables israéliens, serait l’Etat hébreu. D’une  part, son  idéologie  basée  sur  un  Etat  religieusement homogènee serait étendue à d’autres pays et légitimerait ses conceptions. D’autre part, la myriade d’Etats ethno-religieuxse retrouvant affaiblie, du moins dans un premier temps, Israël aurait moins à craindre de ses voisins. Ce n’est pas pour rien si, avec les Druzes de Syrie, par exemple (7), Israël joue lacarte de la proximité et se pose en protecteur.  Paradoxe apparent, cependant, favorisant indirectement Israël, la redistribution  des  pays  du  Moyen-Orient  susciterait  une nouvelle montée de haine contre les Israéliens. Cela doperait le sentiment d’injustice vécu par les musulmans et tendrait à favoriser un nouvel essor du jihadisme. De plus, représentant autant  d’Etats  faibles,  les  nouveaux  pays  du  Moyen-Orient seraient  plus  facilement  infiltrables  par  les  organisations jihadistes.

En clair, au moins pour ces raisons, craignons comme la peste une réorganisation de cette région sur la base d’Etats ethno-religieux.

Et si Daesh éloignait les musulmans de l'islam ?

un autre "fait d'arme" de Daesh

"le  recours  aux  armes  est  devenu indispensable

face à une organisation qui sème la violence"

 

D. Gorteau : Les  Etats-Unis déclarent  avoir  liquidé  pas  moins  de  10 000 hommes de l’Etat Islamique. Est-ce crédible et, surtout, est-cela bonne méthode ?

A. Chevalérias : Washington veut-il vraiment faire la guerre à l’Etat Islamique ? Le  chiffre  de  10 000  paraît  très  important  au  regard  des opérations, pour la plupart aériennes, menées par les Etats-Unis. Sauf à inclure dans ce nombre tous les hommes de l’Etat Islamique tombés en Irak et Syrie. Bonne  méthode  ou  pas,  le  recours  aux  armes  est  devenu indispensable face à une organisation qui sème la violence. Néanmoins, elle n’est pas suffisante. Il faut aussi penser à un plan  de  paix  israélo-palestinien,  le  comportement  d’Israël nourrissant la colère musulmane et, chez les populations les moins armées intellectuellement, facilitant le recrutement des jihadistes. Il faut aider au développement d’un islam moderne, installé dans le siècle. Il faut travailler à réduire, au moins politiquement, les tyrannies qui font le lit des islamistes au Moyen-Orient.  Il  faut  développer  l’éducation.  Il  faut... Beaucoup de choses encore. Pour répondre au dernier point : Washington ne veut pas faire la guerre à l’Etat Islamique, après les échecs de l’Afghanistan et de l’Irak.  Mais  Washington  y  est  forcée.  Alors,  les Américains cherchent à gérer l’affaire au minimum, en utilisant des moyens aériens. L’envoi de troupes terrestres leur fait peur. Ils ont raison parce leurs tactiques sont souvent mal adaptées et leurs hommes mal préparés psychologiquement. En outre, leur ignorance  des  autres cultures  est  un  handicap. Il  existe néanmoins  des  choix  de  remplacement  comme  l’utilisation  de troupes européennes, les Britanniques et les Français étant les meilleurs dans le domaine. Ou/et comme la mise en ligne de volontaires  des  pays  concernés,  armés  et  entraînés  par  les soins de pays parrains sous l’égide des Nations Unies.

 

 

(1) Le terme « Khalifat », « calife » en français, signifiesuccesseur, en l’occurrence, successeur de Mahomet.

(2)  La  calife  ne  jouissait  d’aucun  attribut  religieux.  Ildevait diriger les musulmans en respectant la loi coranique. C’est tout. Mieux, il devait tenir compte en principe de l’avis des « oulemas », les docteurs de la loi en islam, qui tenaient le rôle de juristes. Rappelons que, dans l’islam sunnite, il n’y a pas de clergé.

(3) Au début, au sein des instances de la Révolution, les Frères  musulmans  étaient  présents  mais  tenus  en  marge.  Les radicaux  islamistes,  les  jihadistes,  ne  sont  apparus  que plusieurs  mois  après  et  uniquement  par  des  attaques ponctuelles,  du  type  terroriste.  Il  faut  comprendre  qu’il existe  chez  les  islamistes  deux  branches :  celle  qui  veut obtenir le pouvoir par le travail politique, comme les Frères musulmans, et celle qui veut y parvenir par la violence, comme Al-Qaïda et l’Etat Islamique.

(4) Le mouvement Al-Nosra, inféodé à Al-Qaïda, combat en Syrie contre l’Etat Islamique.

(5) En Tunisie, si ce pays est victime d’attaques sanglantes des  jihadistes,  on  voit  néanmoins  une  forte  résistance  à l’islamisme et, par conséquent au jihadisme en raison du bon niveau d’éducation de la population du pays. En revanche, en Egypte,  pire  dans  le  nord  du  Pakistan,  l’islamisme  et  le jihadisme  sont  puissants  en  raison  du  taux  élevé d’analphabétisme.

(6) Pour mémoire, les pays du Moyen-Orient n’étaient pas des colonies mais avaient été remis à la Grande-Bretagne et à la France  en  mandats  par  la  Société  des  Nations,  ancêtre  des Nations Unies.

(7)  Voir  sur  le  site  www.recherches-sur-le-terrorisme.com notre article « Israël de prépare à intervenir en Syrie ».

 

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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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