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''j'ai enseigné aux USA''

 

"J'ai enseigné aux Etats-Unis"


Sympathisant de Valeurs et Actions Républicaines, Mister O (qui préfère donc rester anonyme) a travaillé dernièrement plusieurs mois aux Etats-Unis dans le cadre d’un programme d’échange de personnels de l’Education.
Diplômé en civilisation américaine il a séjourné plusieurs fois là-bas et en ramène un témoignage édifiant sur le quotidien des Etats-Unis entre crise économique et profond déclin.

"les américains eux-mêmes devront apprendre à vivre avec le reste du monde"


Denis Gorteau : En tant qu’étranger, comment as-tu été reçu sur place ?
Mister O : Très bien. Malgré la période de tensions qui a suivi l’invasion de l’Irak et le non-alignement de la France avec la coalition (perçue alors comme une « trahison »), les américains ont dans leur très grande majorité, une très bonne opinion de la France et des français. Nous gardons encore là-bas l’image du pays où il fait bon vivre, riche de sa culture et de son Histoire. Personnellement, j’ai toujours été très bien accueilli même s’il existe de grandes différences entre les régions : dans le Midwest, les gens sont par exemple beaucoup plus chaleureux et avenants qu’en Nouvelle-Angleterre où la retenue (héritée de la tradition puritaine des premiers colons) est plus courante.


Denis Gorteau : sur le papier le système éducatif états-unien est beaucoup plus « libre » que le système français. Est-ce exact ? Et si oui, cela améliore-t-il la qualité de l’enseignement ?
Mister O : Au lycée, les filières telles que nous les connaissons en France n’existent pas, les parcours sont totalement individualisés et chaque élève choisit ses cours « à la carte ». On peut par exemple suivre des cours de géométrie, de trigonométrie, de biologie marine, ou n’étudier que l’histoire des USA de 1914 à 1962. Idem pour les cours de langues qui sont adaptés au niveau des élèves et classer de 1 (débutants) à 3 ou 4 (confirmés). Ce système offre une très grande liberté aux élèves : non seulement ils peuvent choisir les cours mais ils peuvent aussi les abandonner ou en changer en cours d’année. Ils sont aidés pour cela par un conseiller d’éducation (guidance councellor) qui les aide à choisir en fonction de leurs vœux d’orientation, des exigences de l’université où ils souhaitent aller mais aussi des goûts et des désirs des élèves. Notre système de filières où les élèves sont censés suivre le même cursus pour l’obtention du BAC leur paraît beaucoup trop rigide (certains enseignants américains m’avouant même qu’ils trouvaient ce système « soviétique » !).
Quant à la qualité de l’enseignement, il est indéniable qu’il est moins exigeant qu’en France. La liberté dont dispose les élèves américains n’est pas la principale raison.  Cela s’explique par plusieurs facteurs, notamment une politique de « lycée unique » (sur le modèle de notre collège unique) où tous les élèves vont au lycée (y compris ceux qui se désintéressent complètement des études). La formation des enseignants aussi. Non spécialistes des matières qu’ils enseignent, ceux-ci enseignent  bien souvent une ou des matières en n’ayant passé qu’une simple « certification » en 1 an. Il n’est donc pas rare de voir des professeurs enseigner en même temps les maths, l’histoire américaine ou l’espagnol par exemple.
Les programmes enfin qui ne favorisent pas vraiment l’assimilation des connaissances et l’émergence d’une réflexion structurée : on enchaîne les leçons, on évalue rapidement par des quiz à choix multiples puis on passe  très vite à un autre chapitre. En littérature par exemple, on n’hésite pas à ne passer qu’une semaine sur un roman. Bref, c’est du « vite ingurgité, vite recraché », la quantité des leçons et des notions survolées au détriment de la qualité.
 

Denis Gorteau : une journée ordinaire d’un prof sur place, ça ressemble à quoi ?
Mister O : La plupart des enseignants américains travaillent 35h ou plus dans leur établissement. Dans mon cas, je devais être présent du lundi au vendredi de 7h00 à 14h00. J’assurais environ 25h de cours par semaine, le reste du temps étant consacré à la surveillance des élèves et à la préparation des cours.
Dans mon établissement, chaque enseignant devait pointer à 7h00 au bureau central avant de commencer sa journée de cours. Comme il n’y avait pas de récréation, les cours s’enchainaient non-stop jusqu’à 14h00, sauf à 11h00 où l’on disposait d’une pause déjeuner de 25mn. Trois fois par semaine, j’avais droit à une heure de « prep » pour corriger des copies ou préparer des cours. Enfin, il y avait les corvées de surveillance « duities » réparties entre tous les profs du lycée (car il n’y a pas de surveillants). Dans mon cas, je devais surveiller la cantine tous les mardis pendant 1h30. D’autres collègues devaient surveiller les toilettes, les couloirs ou encore les abords de l’établissement le matin et l’après-midi avec l’arrivée des bus de ramassage scolaire.
A 14h00, certains enseignants restaient jusqu’à 16h00 ou 17h00 pour animer des clubs (musique, théâtre, sport…) car ces activités extras sont payées en heures supplémentaires, et surtout permettent à l’enseignant de se faire « bien voir » du chef d’établissement, qui gère son lycée comme un véritable manager. Passer du temps au lycée prouve que l’on est très investit, et surtout permet de sauver son poste en cas de restrictions budgétaires (comme c’est le cas en ce moment).

Denis Gorteau : quel diplôme décroche les lycéens sur place ? Que font-ils ensuite ?
Mister O : Les lycéens décrochent le diplôme de leur lycée (High School Diploma) qui certifie qu’ils ont fini leurs études secondaires. Contrairement au BAC, ce diplôme ne signifie pas qu’ils sont en droit d’aller à l’université. Les universités américaines sélectionnent en effet leurs étudiants sur dossier dès le mois de janvier. Les universités examinent le dossier scolaire de l’élève, les cours qu’il/elle souhaite suivre et peuvent même procéder à des entretiens pour évaluer la motivation des élèves. Reste la question financière qui est cruciale puisque les frais de scolarité peuvent se monter à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pour la majorité des élèves, ce sont les parents qui financent les études, d’autres ont des prêts étudiants, certains enfin, bénificient d’une bourse mais ils sont rares. Ils pourront alors commencer un cycle de 4 ans d’études pour l’obtention d’un « Bachelor » équivalent à une licence. Ceux qui souhaitent poursuivre feront un Master’s en 2 ans (ou une école de droit ou de médecine), et enfin un doctorat (« PhD ») en 6 ans.
Les élèves qui ne vont pas à l’université après le lycée ont en général 3 choix :
- Ils peuvent suivre une formation professionnelle dans une « vocational school » (équivalente au lycée professionnel) et y apprendre un métier en 2 ou 3 ans.
- Certains s’engagent dans l’Armée. Depuis le fameux « GI Bill » de 1945 qui permettaient aux vétérans de la seconde guerre mondiale de reprendre des études, l’Armée américaine finance tout ou une partie des études de ses anciens soldats. Faute de moyens, beaucoup de lycéens des classes ouvrières s’engagent ainsi dans l’Armée pour 3 ou 4 ans afin de reprendre des études par la suite. Cela permet à l’armée américaine d’avoir du « sang neuf » dans ses troupes et donne une chance à ces jeunes de faire des études supérieures.
- Pour les autres, ne reste plus qu’à travailler. C’est le cas pour les nombreux « drop-outs » (les élèves qui ont quitté le lycée avant la fin de leurs études) ou ceux en proie à des difficultés sociales lourdes (filles-mères, immigrés illégaux…). Ceux-là iront grossir les rangs des travailleurs pauvres et occuperont des « jobs » à temps partiel ou peu qualifiés. Le film Eight Mile qui relate la vie du chanteur Eminem à Détroit avant qu’il ne devienne une star du rap, est un bon exemple.
 
Denis Gorteau : Les « gangs » de jeunes que l’on connaît à la télé existent-ils réellement ?
Mister O : Oui hélas. Les premiers gangs sont apparus dès le début du 20ème siècle avec l’arrivée des immigrés venus d’Europe, notamment à New York, Boston et Chicago. Composés majoritairement de jeunes d’origine irlandaise et italienne, la composition ethnique des gangs a énormément évolué au fil du 20ème siècle, avec l’émergence de gangs noirs (Bloods, Crips…), mexicains et hispaniques (Mexican Mafia, Latin Kings…) ou asiatiques. Les années Reagan, qui ont vu le désengagement des pouvoirs publics dans les quartiers difficiles, notamment par la suppression de nombreux fonds sociaux, ont été un tournant dans l’évolution des gangs. Riches du traffic de drogue et de la vente d’armes, les plus gros gangs se sont développés à travers tout le pays en ouvrant des « franchises » même dans les zones rurales. C’est pourquoi on parle à présent de « gang nations ». Dans les quartiers pauvres (en ville comme en zone rural) les gangs de jeunes font à présent parti du paysage social et tous les acteurs sociaux (éducation, police, justice, travailleurs sociaux…) essayent de composer avec. Dans les lycées difficiles, les chefs d’établissements comme les enseignants sont obligés de tenir compte des « règles » de chaque gang : certaines couleurs sont interdites, certaines marques de vêtement ou accessoires aussi. Ainsi l’on a vu la marque Calvin Klein bannie de certains établissements car les initiales CK de la marque, étaient utilisées par le gang des Bloods pour signifier « Crips Killer » (tueurs de Crips). N’oublions pas enfin les fameux détecteurs de métaux placés à l’entrée de certains lycées afin d’éviter que des élèves n’entrent avec des armes à feu.
Dans l’établissement où je travaillais, on avait relevé la présence de 9 gangs. Certains gangs étaient éthniques (composés exclusivement de porto-ricains, hispaniques, vietnamiens…) d’autres étaient multi-éthniques et répondaient à un regroupement géographique (une rue, un pâté de maisons). Le chef d’établissement était obligé de suivre la « tendance » des couleurs utilisées par chaque gang et devait régulièrement interdire le port de telles ou telles couleurs. Dans certains cours, on faisait en sorte d’éviter de regrouper des membres de gangs adverses (il fallait pour cela être au courant des alliances ou des guerres entre chaque gang). Idem pour la cantine. Malheureusement les bagarres étaient très fréquentes et certains de mes collègues (en essayant de s’interposer) ont pris des coups. La police venait régulièrement dans l’établissement pour arrêter et menotter ces élèves. Tous étaient connus des services de police. Certains gangs s’étaient spécialisés dans la vente de crack ou d’héroïne. Pour d’autres, c’était la prostitution.     

sans commentaire


Denis Gorteau : Les Etats-Uniens ont-ils une bonne image d’Obama ?
Mister O : Après 2 présidences Bush, Obama (avec son discours axé sur le changement) était perçu comme le sauveur censé réparer les erreurs de Bush : l’engagement dans une guerre ruineuse et inutile dans la lutte contre Al-Quaïda, les cadeaux d’une politique fiscale favorisant les plus riches au détriment non seulement des pauvres mais aussi des couches moyennes et enfin une image détériorée des Etats-Unis dans le monde. Les espoirs de changement étaient donc immenses et peut-être un peu trop grands pour un seul homme. Car Obama, avocat de formation, est avant tout un pragmatique qui préfère prendre des décisions mesurées et réfléchies plutôt qu’adopter des mesures extrêmes comme son prédécesseur. Homme de dialogue, Obama a par exemple tenté d’expliquer le bien-fondé de sa réforme sur la Santé plutôt que de passer en force. Cette « pédagogie » passe mal dans une opinion publique habituée aux coups d’éclats et a permis aux républicains ainsi qu’au fameux Tea Party de s’engouffrer dans la brèche. Accusé d’être un « socialiste » (une véritable insulte outre-atlantique), Obama a dû composer avec les républicains et faire des compromis. La large victoire des républicains aux dernières élections du Congrès, le place à présent dans une sorte de cohabitation. Perçu comme le diable socialiste à droite, il déçoit dans le camp des démocrates par son manque d’audace. Si Obama bénéficie d’un capital sympathie toujours aussi important dans le monde, sa lune de miel avec l’opinion publique américaine est bel et bien finie. Candidat à sa reélection en 2012, Obama devra remotiver les électeurs déçus par son premier mandat et contrer les arguments du Tea Party qui fustigent sa politique économique.

abrutis party

 

Denis Gorteau : Toi qui connais bien les Etats-Unis peux-tu nous dire quel sera l’état du pays dans quelques années ?
Mister O : Loin de l’optimisme et du sentiment de toute puissance dans lequel vivaient les Etats-Unis depuis la chute de l’Union Soviétique, les doutes et les peurs sur l’avenir se sont durablement installés dans les esprits. Englués en Irak et en Afghanistan, se relevant à peine d’une crise financière grave, avec une industrie automobile sinistrée, un taux de chômage d’environ 10 %, des millions de foyers ruinés par la crise immobilière, et des fonds de pension en faillite, les américains ont le sentiment que les Etats-Unis sont en déclin.
 Le dernier discours de l’Union d’Obama est assez révélateur de ce sentiment général puisque celui-ci n’a cessé de marteler que les Etats-Unis étaient encore la première puissance économique, que les universités américaines étaient parmi les meilleurs au monde etc. Cette méthode Coué suffira-t-elle à redonner confiance au pays ?
L’Histoire nous a montré la formidable capacité de rebond des Etats-Unis en temps de crise (la guerre de Sécession, la crise de 1929, la guerre de Vietnam…), autant de crises majeures sociales ou économiques dont les Etats-Unis ont su se relever. Il y a donc fort à parier que les Etats-Unis trouveront les ressources nécessaires pour sortir de la crise et retrouver leur stabilité. A une différence prés, et elle est de taille : ils leur faudra peut-être accepter de ne plus être un jour les n°1.
Ce fameux « America is #1 », si présent dans la conscience collective est hélas de moins en moins vrai. L’état des routes se dégrade, le réseau électrique ou d’évacuation des eaux dans la plupart des villes est archaïque et pour la 1ère fois depuis cinquante ans, l’espérance de vie pour les hommes baisse. Autant de marqueurs qui indiquent que les Etats-Unis ne font plus autant rêver.
Or s’ils reconnaissent volontiers que leur pays est sur le déclin, la plupart des américains se refusent à imaginer qu’un jour leur pays puisse laisser sa place de leader pour une autre nation (la Chine par exemple…),  ou que l’herbe puisse être plus verte ailleurs.
Un bon exemple est la fascination et le respect total qu’exerce encore l’armée américaine auprès de l’opinion publique. Glorifiant ses GI’s et les honneurs du drapeau, la puissance militaire américaine demeure pour une majorité d’américains une (peut-être la seule…) source de fierté et d’assurance que les Etats-Unis restent n°1.
C’est peut-être là le danger qui guette la société américaine : refuser d’accepter que les Etats-Unis ne domineront peut-être plus le monde au 21ème siècle et accepter un jour de laisser sa place de leader.
Une révolution pour des millions d’américains.
 A cela s’ajoute une autre prise de conscience, identitaire cette fois. En 2050, les blancs anglo-saxons seront minoritaires. Déjà, en Californie, les hispaniques sont majoritaires et l’anglais n’est plus parlé dans de nombreuses zones urbaines. Cette peur de l’invasion venue du Mexique a d’ailleurs poussé l’Etat de l’Arizona a passé une loi autorisant les contrôles au faciès, afin d’appréhender les clandestins.
Néanmoins, nous assistons bel et bien à l’émergence d’une nouvelle Amérique dans les prochaines décennies : une Amérique métissée, de tradition anglaise et puritaine, mais aux accents de plus en plus espagnol et à la religion catholique.
Ces changements démographiques profonds entraîneront-ils aussi des changements sur le domaine de l’économie ? Le modèle ultra-libéral anglo-saxon, laissera-t-il place à un nouveau modèle économique, où les disparités entre riches et pauvres seront réduites, permettant une meilleure couverture sociale pour tous ? Les revendications du Tea Party seront-elles bientôt d’un autre âge ?
Une chose est sûre : les Etats-Unis ne pourront bientôt plus se payer le luxe de vivre comme au 20ème siècle, et les américains eux-mêmes devront apprendre à vivre avec le reste du monde. Cela a déjà commencé pour les retraités californiens de la police et des pompiers : le fond de pension qui gérait leur retraite vient d’être racheté par un groupe industriel chinois.

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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