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Nancy août 1790 : simple mutinerie et vraie tuerie

31 août 1790 : de 300 à 400 morts en trois heures !

L’année 1790 passe pour une année calme dans la chronologie de la révolution. Or, « l’affaire de Nancy » marque tout de même la chronique. Peu étudiée et surtout oubliée entre le 14 juillet 1789 et le 10 août 1792 elle n’en demeure pas moins un épisode sanglant où la France d’ancien régime et celle qui naît l’année précédente s’affrontent dans la plus grande confusion. Le rôle des rumeurs et des craintes politiques a joué un très grand rôle dans cette tuerie qui coûta la vie à plusieurs centaines de gens.

Les faits

Sans doute encouragés par l’ambiance de changements de l’année 1789, trois régiments de soldats (suisses et français) postés à Nancy réclament leur solde, ils n’ont guère confiance dans leurs officiers. On pense même que l’argent est détourné... Une pratique courante avant la révolution.

Deux délégués qui réclament les comptes sont fouettés avant d’être libérés de force et fêtés par la population et les soldats. « L’affaire » débute donc par un différend local interne à l’univers militaire. L’intervention des soldats de base et de la population se fait toujours sur la base des enjeux locaux. Nous sommes en avril et une sorte de confusion règne, elle est faite de désordre, de revendications et de libertés nouvelles... La pression monte toujours : les officiers sont sensés « réhabiliter » les soldats mécontents. A noter que le début des évènements est non violent. Certes les soldats n’obéissent plus et se répandent dans la ville, mais la population fraternise et « l’émeute festive » dure des jours sans faire de victime…

à Paris les rapports les plus alarmistes tombent !

Mais à Paris les rapports les plus alarmistes tombent ! La « grande Peur » est encore dans les esprits et Nancy est à portée de canons des Autrichiens. Le gouvernement coalise alors les révolutionnaires les plus modérés qui ont présidé à la fête de la fédération au mois de juillet 90. Leur projet est de stabiliser les acquis de 1789 (constitution, droits de l’Homme, etc.).

Le 16 août, sur la base d’informations exagérées l’Assemblée opte pour la répression. Les délégués des soldats révoltés arrivés à Paris sont emprisonnés sans être entendus. L’ordre vient du maire de Paris Bailly et de La Fayette, commandant en chef de la Garde Nationale. Néanmoins certains députés s’interrogent sur la gravité réelle de la situation (Barnave, Robespierre)…

Fort de la décision du 16 août le marquis de Bouillé arrive devant Nancy fort d’une troupe de 4 500 hommes. Il exige de rentrer dans la ville et la reddition des trois régiments « rebelles ».

A Paris on colporte des rumeurs de complot contre-révolutionnaire concernant les soldats mutinés, on voit la main de l’Autriche derrière les rebelles, les mêmes Autrichiens marcheraient d’ailleurs sur la Belgique, etc. Bref, on souhaite justifier -à l’avance- l’emploi de la force. A Nancy, épouvantés par le déploiement de force, la population et les soldats s’emparent des armes disponibles (4 000 fusils et leurs munitions).

Le marquis de Bouillé, défenseur puis adversaire du changement...

Le 31 août, alors que l’assemblée auditionne enfin des soldats de Nancy et réalise la petitesse de l’affaire, Bouillé entre dans la ville : deux régiments rebelles sur trois se rendent quand des coups de feu éclatent vers 16h00. Bouillé parlera plus tard de civils armés qui ont visé ses troupes, bientôt aidés par le Lullin-Châteauvieux, le dernier régiment révolté.

On comptera entre 260 et 400 tués

Les troupes de Bouillé attaquent alors la ville. Les combats durent jusque vers 19h00. On comptera entre 260 et 400 tués dans la ville. Certains bilans vont même au delà.

A Nancy on dissout la société patriotique et les révolutionnaires connus sont inquiétés…

Dans un premier temps les autorités locales comme l’assemblée nationale couvrent d’éloges le marquis. On salue la défaite de la « contre révolution » (sic) ! Le 3 septembre l’Assemblée vote même les félicitations au général alors même que sur Paris on commence à réaliser l’ampleur de la répression et surtout son caractère injuste.

Bouillé est le cousin de La Fayette. Ce dernier est l’étoile montante de l’Assemblée. Il a présidé à la fête de la Fédération du mois de juillet 1790. L’un des seuls -sinon le seul- moment de concorde de la révolution.

des dizaines de prisonniers sont jugés

et sévèrement condamnés

Or l’affaire ne s’arrête pas là : des dizaines de prisonniers sont jugés et sévèrement condamnés. Comme sous l’ancien régime : 41 sont condamnés à 30 ans de galère, 22 sont pendus et l’un des chefs de la révolte est même roué à mort…

Il faudra attendre quelques mois pour que les révolutionnaires les plus décidés entament une campagne pour dénoncer les condamnations et surtout accuser Bouillé (et La Fayette) de barbarie.

En avril 1792 les galériens arrivent à Paris dans une mise en scène anti-monarchique. Le rapport de force politique a alors complètement changé.

Moins d’un an plus tard Louis XVI tentera de fuir et Bouillé sera l’un des rouages de cette fuite…

Pourquoi donc une telle violence ? Plusieurs centaines de tués en moins de trois heures…

A vrai dire, les autorités parisiennes ont vite donné crédit aux rumeurs les plus alarmistes. Ne pas réagir à la révolte des soldats de Nancy c’était ouvrir la porte au chaos dans la France encore fébrile. De plus la « menace » des Autrichiens pèsera lourd dans la décision de laisser Bouillé intervenir sans nuance. Cette peur expliquera la vision d’une « contre révolution » dans la simple révolte des soldats et des habitants de Nancy.

la peur d’une contre-révolution intraitable 

Mais pour les révolutionnaires qui prendront le pouvoir après le 10 août 1792 l’affaire de Nancy est, à l’inverse, un bon exemple de la cruauté des royalistes modérés (Bailly, La Fayette, Bouillé…). Ils présenteront les condamnés survivants comme des héros de la liberté quand ils ne furent que des révoltés de circonstance, sans doute peu politisés.

Le souvenir de cette répression nourrira la peur d’une contre-révolution intraitable et sanguinaire. Or, en août 1790 il ne s’agissait pas -ou pas encore- de Réaction, mais plutôt d’une consolidation du bilan de 1789 contre l’ancien régime et contre les demandes de réformes plus avancées… Pour La Fayette et ses partisans la priorité était de s’en tenir au consensus de la fête de la Fédération et d’éteindre les suites de la grande Peur.

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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