Il ne suffit pas d'écrire le nom des rues en langue régionale pour être soit-même
Toulouse n’est pas la métropole française qui fait le plus parler d’elle, pourtant, elle aussi a pris le virage de la mondialisation. A quoi cela se voit-il dans la ville ? Comment le centre est-il devenu une sorte de petit Manhattan ? Cela date peut-être du passé industriel...
C’est comme si l’explosion de l’usine AZF en 2001 avait soldé son histoire industrielle du XXe siècle. Dès lors, place à la métropolisation, qui veut que les grandes villes régionales se comportent comme de petites capitales. J’en veux pour preuve l’ancienneté des usines Airbus, une entreprise locale qui rayonne désormais comme LA multinationale de l’aviation civile, concurrente de Boeing. Après le local, le global.
Après le local, le global
Le centre de la grande ville ressemble donc aux centres de Lyon, Nantes ou Bordeaux : des rues dévolues aux piétons sont arpentées en masse par des foules bigarrées où chacun joue son rôle. Les boomers (qui possèdent le foncier) sont plutôt discrets, cachés dans leurs appartements, résidences secondaires ou EHPAD. Les étrangers sont nombreux : touristes ou immigrés livreurs, la ville a besoin d’eux pour être reliée au reste du monde. Pour le reste de la région, on repassera : arriver dans la ville rose est un parcours semé de bouchons et de travaux. C’est peut-être pourquoi le clivage politique est si net entre la ville qui vote à gauche et la périphérie qui vote RN. La lutte des classes n’a jamais été aussi en phase avec les fractales.
La lutte des classes n’a jamais été aussi en phase avec les fractales
L’hyper-centre aussi est constamment en travaux : on refait les façades, les édifices publics, les rues, les logements. Les prix flambent, ce qui explique peut-être la modestie des commerces, car, sorties de quelques marques, présentes dans le monde entier, on n’a guère de place dans les mille-et-un petits « restaurants » qui servent toujours les mêmes plats globalisés rue du Taur : à base de burgers, on brode à l’infini entre le « local » et « l’exotique ». Mais quelle différence ? Pour ceux qui en douteraient, on a aussi un restaurant tibétain !
Cette ville agréable, une fois passés les grands boulevards encombrés, est dévolue aux jeunes. Ceux-ci (mais n’est-ce pas leur unique rôle ?) semblent très occupés à se distinguer de la génération qui les a engendrés : certaines musulmanes sont plus voyantes que les autres (une avait même un voile intégral), certains tatoués le sont plus que les vieux et pas mal de minettes dans la vingtaine ont mis leur soutien-gorge en vacances ! Est-ce ainsi ailleurs ? En tout cas, est-ce pour lutter contre ou saluer le patriarcat ? La mode estivale semble être aux poitrines « libres ». Libres de quoi ? On ne sait pas. Exciter pour exister ? Difficile à savoir, car on nage en pleine anthropologie structurale : ces jeunes femmes semblent espérer l’attrait d’un mâle alpha pour passer du statut de fille à celui de femme... Il y a même jusqu’aux sans-abris (forts nombreux) qui semblent, eux aussi, travailler à se distinguer. Eux au moins ont une raison de le faire, mais peut-être est-ce le cas de tout le monde.
les polices locales vérifiaient quelques « mineurs isolés »
Bref, aucune originalité à Toulouse dans le rapport au capitalisme mondialisé : la vieille bourgeoisie poussiéreuse a laissé la place à des happy few bobos assez prévisibles. Par opposition la population flottante y est aussi massive : quand je suis arrivé place du Capitole les polices locales vérifiaient quelques « mineurs isolés » relâchés dans la ville rapidement. Que faire ?
C’est à ce constat que je pensais en déambulant dans l’exposition dévolue aux Cathares. De nouvelles recherches ont définitivement ruiné l’idée que ces méridionaux pratiquaient une religion originale. C’étaient des catholiques désireux d’être eux-mêmes loin de la multinationale vaticane et non des « hérétiques ». Ils résistèrent et furent anéantis avec une violence terrifiante. Actuellement, les Toulousains résistent moins aux piercings, aux tatouages et aux fast-foods. Il ne suffit pas d’écrire le nom des rues en langue régionale pour être soi-même. Mais que celui qui n’a jamais péché…