hommage à J. Ellul
Trump doit tout à ce système spectaculaire
Tout pouvoir se doit d'être incarné. Tribus amazoniennes, Vatican ou Maison Blanche ont toujours un chef et un seul. Et ce dernier doit toujours rappeler qu'il l'est. Tyran oriental ou président élu, qu'importe pourvu que le pouvoir soit dévolu à une personne, généralement un homme. Relatif ou absolu le pouvoir personnel résulte de notre évolution sociale qui veut que le collectif soit un décalque en plus grand de la cellule clanique où quelqu'un doit agir, guider, décider, transmettre, être renversé par ce qu'il est chef.
Pourquoi une telle débauche de spectacles
alors que le pouvoir règne déjà ?
Plus nous nous sommes développés, plus le pouvoir s'est voulu puissant dans les faits souvent (lois écrites, police...) mais surtout aussi dans ses expressions symboliques, dans sa communication dirions-nous aujourd'hui. Bien sûr, chacun a en tête les défilés victorieux de César ou l'exceptionnel Château de Versailles, mais qu'est-ce par rapport à nos médias contemporains ?
Pourquoi une telle débauche de spectacles alors que le pouvoir règne déjà par les lois et plus encore par la coercition ? À quoi bon se montrer sous son meilleur jour ou mentir pour avoir le dernier mot puisqu'on dicte déjà le premier ? Essentiellement pour trois raisons :
Premièrement, même le pouvoir le plus installé ne contrôle pas tout. Bien des faits inattendus percutent le discours dominant. C'est le mur du réel. Or si le pouvoir existe c'est précisément pour gérer ce que la collectivité inorganisée ne peut résoudre. C'est pourquoi on a des chefs à tous les étages de la pyramide sociale.
Deuxièmement, n'importe quel pouvoir repose sur le soutien d'une partie de la population. Or ce soutien, d'importance forcément variable, doit être entretenu par « de la bonne télé ». Comme l'incertitude périodique perturbe le jeu du pouvoir installé il est nécessaire pour ce dernier de donner l'impression qu'il maîtrise les choses, surtout quand ce n'est pas le cas. 1789 s'explique d'abord par l'incapacité du système à régler son endettement et tout autant à communiquer dessus. Il semble que Kamala Harris a perdu en 2024 uniquement du fait d'une inflation perçue comme hors de contrôle. Et les exemples sont nombreux d'exécutifs politiques qui périclitent ou chutent du fait d'une incapacité à résoudre un problème et plus encore à ne pas donner l'impression de savoir quoi faire. On ne croit plus dans les dieux du moment quand on constate leur impuissance...
montrer que les choses sont à leur place
Troisièmement, notre fonctionnement social veut que nous souhaitons toujours qu'on nous raconte quelque chose qui relativise l'absurdité ou l'inattendu. C'est même devenu un métier bien payé : conseiller en « communication de crise ». Et ça marche ! N'importe quel fait divers, de préférence sordide, donne lieu à la récitation de communiqués qui donnent l'impression que le pouvoir « fait quelque chose », que l'on peut donc continuer sa vie sans remettre en question le dit pouvoir puisque, précisément, le pouvoir « peut ». Ainsi se multiplient les lois, les projets, les déclarations ou même les cérémonies pour montrer que les choses sont à leur place. Nous sommes spectateurs, ils sont décideurs. Et on en redemande ! Dieu est silencieux ? Des prêtres sont là pour interpréter les silences. Les marques sont malhonnêtes ? La publicité est là pour nous en faire douter. Vous n'aimez pas le président ? On saura vous suggérer que les concurrents ne sont pas mieux, etc.
Bien entendu l'ère télévisuelle puis numérique a décuplé cette tendance des pouvoirs à surexister par le virtuel. L'Homme est un animal social qui a besoin qu'on lui raconte toujours des mythes pour être rassuré. L'histoire du père Noël et du père Fouettard, n'a jamais été démodée, il suffit périodiquement de la relooker pour que ça fonctionne à nouveau. Le président Noël aide les sinistrés, le président Fouettard envoie les CRS mais le président reste le président.
Le capitalisme contemporain est un système si puissant
qu'il achète les médias de masses pour assurer son pouvoir
Actuellement le vrai pouvoir repose quasi exclusivement sur l'argent. Le capitalisme contemporain est un système si puissant qu'il achète les médias de masses pour précisément assurer son pouvoir (Musk n'a pas racheté un quotidien régional). On peut parler de tout, distraire de mille façons mais sûrement pas prétendre taxer les ultra-riches. Ces derniers sont experts en communication, Murdoch puis Berlusconi ont été les premiers à influencer directement les électeurs via leurs télés ou paillettes, culs et faits divers ont durablement agité les foules, à droite bien sûr, sous l'apparence d'innocentes distractions. Nulle démonstration, uniquement des émotions. C'est le principe « de la bonne télé » -dixit Trump- qui doit tout à ce système spectaculaire qui s'est généralisé.
cérémonie permanente
La nouveauté actuelle réside dans l'idée que la communication dépasse désormais la réalité en quantité et en qualité. Avant, la propagande était généralement circonstanciée et les cérémonies mettaient en scène le pouvoir ponctuellement. Le reste du temps, le pouvoir régnait indirectement, généralement occupé à gérer ses différents internes. Mais actuellement, la com de Trump ou Poutine culmine dans une « cérémonie permanente ». Avec les réseaux sociaux, les ministres sont doublés -ou remplacés- par des influenceurs stipendiés qui martèlent soit-disant librement le discours des puissants. Les criminels israéliens au pouvoir ne paient des influenceurs sans raisons. La communication du pape tout le monde s'en fout, même les catholiques mais les trumperies, ça fait réagir tout le monde, à commencer par les opposants politiques qui tombent dans le piège de la publicité négative. Un Kärcher à merde permanent masque la réalité du président us, celle d'un oligarque, tonitruant certes, mais plutôt banal.
la solution ? L'indifférence...
Avec les médias omniprésents chacun sait que Trump est un bon ou un con, et ça suffit largement à la pérennisation du pouvoir. Les meilleurs partisans du milliardaire sont même ceux qui veulent l'assassiner. Pas meilleur agent électoral de Netanyahou que le Hamas car au final ces mafieux savent se faire de la courte échelle, du moins médiatiquement. Être menacé, c'est exister. Dès lors, la solution est très simple : l'indifférence. Tous les puissants font périodiquement le même cauchemar, qu'on les ignore complètement. L’Église a commencé à être modérée quand les gens ont été non pas opposés mais simplement indifférents aux histoires pieuses... Mais en matière d'histoire l'IA nous en réserve de belles...