Coluche, Gainsbourg, Johnny, Montant :
par : Terouga, août 2003
Les utopies et autres luttes des années 60-70 ont poussé si loin la société française que tout retour en arrière s’est vite révélé impossible. Passé les réformes de fond de la présidence Giscard, la société s’est orientée vers un rejet général de tous les conservatismes sociaux, épargnant au passage le conservatisme de la propriété privée des moyens de production. Socialistes, Modernes et Centristes divers ont donc accompagné politiquement cette lente et constante dérive vers le bla-bla médiatique, le libéralisme économique et la société de marché.
Dans cette évolution vers un individualisme renouvelé et achevé, il fallait aux classes orientant cette mutation des figures, des icônes étiquetées proches des masses populaires et véhiculant, en réalité, un discours totalement défavorable à ces mêmes catégories de la population.
La télévision ayant été le grand média de la période, c’est par son intermédiaire que ce nouveau discours "post-progressiste" s’est exprimé autour de quelques grands thèmes chers aux Libéraux et volontiers partagés par quelques "enragés" post-soixante-huitard : la haine de l’État et de ses représentants (flics, fonctionnaires, militaires, etc.), le rejet de toute alternative politique (alors incarné par le PCF) et la promotion d’une sexualité dite "moderne" ou "libérée".
Les personnalités du spectacle au sens large ont donc, après une période très "rebelle" ou parfois même progressiste, rejoint le camp des vainqueurs, rejouant à leur tour le refrain de l’éternelle trahison des Clercs. Les puissants intéressés à la libéralisation de la société française n’ont pas manqué de porte-paroles qui ont, par leurs talents et non dans le forum politique, porté chez les ouvriers un discours finalement très réactionnaire.
Vivant ou mort Coluche a été extrêmement populaire dans les classes laborieuses. Pourtant, les messages de ses sketchs, très médiatisés par la télé du pouvoir puis les radios dites "libres", n’ont jamais vraiment été dans un sens très progressiste au sens où on l’entendait à l’époque : le PC y était très critiqué, les "pauvres" moqués, les syndicalistes ridiculisés, etc. On garde pourtant l’image du fondateur des "restos du coeur", une initiative qui agrège encore tous les ans le panier de crabe du show-business, mais pour faire quoi au juste ? Premièrement s’acheter une bonne conscience à toute épreuve. Deuxièmement, donner aux "losers" d’aujourd’hui le sentiment qu’on ne les laisse pas du tout tomber. Et pour finir, mettre les puissants et les grandes entreprises dans le circuit de la charity business. La boucle du désespoir est bouclée : amis chômeurs, n’espère pas ton salut de toi-même, de tes luttes ou de ton travail, non, espère plutôt que la charité privée complétera au mieux la charité publique ! Est-il nécessaire de rappeler que Coluche fut toujours très proche du pouvoir mitterrandien ? Et faut-il se remémorer sa "tentative" électorale de 81 ? Les sondages montraient déjà une érosion du vote communiste au profit du saltimbanque. Que faut-il en conclure ?
La célébrité de Serge Gainsbourg est née, elle aussi, dans les années 70. Jusqu’au bout il fit figure de "rebelle". Aujourd’hui encore son alcoolisme proverbial hérisse les cheveux des présentateurs de l’époque, pourtant, pour un invité à risques on ne peut pas dire qu’il fut très boycotté des plateaux de télés... Lui aussi fut une figure très populaire, il eu même le privilège de fréquenter une autre icône des années 60 : Brigitte Bardot au progressisme légendaire.
On pourra retenir des "messages" de S. Gainsbourg la haine de l’impôt.
Multimillionnaire grâce à ses passages sur les media État, le chanteur se rendra célèbre pour avoir brûlé en grande partie un billet de banque à la télé pour "illustrer" la rapacité du fisc. Cela montrait au moins contre qui Gainsbourg se considérait comme un rebelle. Et pour faire accepter cet acte de mépris total envers ceux peinant à finir le mois, il fis un énorme chèque... aux restos du coeur ! Il n’y a pas de hasard.
Autre message publique de l’artiste : la mise en musique et en chansons de la "révolution sexuelle", en duo avec Jane Birkin ou avec sa fille. Là aussi le message est sans ambiguïté : "jouissez, on s’occupe du reste".
Dans l’album des acteurs de renom, le personnage d’Yves Montant est sans aucun doute celui qui montre le mieux comment on peut passer de la défense des intérêts populaires à leur plus nette et obscène trahison. Militant du PCF dans sa jeunesse (à l’époque où Staline était adoré sans nuance), Y. Montant est devenu au fil des années 80 une sorte de millionnaire porte-parole des sectes les plus libérales. Qui peut oublier son numéro de cirque dans l’émission poubelle "vive la crise" où il souhaitait sans une once de second degré que la France profite de la crise (sic) pour mettre fin à ses rigidités" ?
Survivant des années 60, et personnage de spectacle le plus célèbre de France, "notre Johnny national" plane au dessus des précédents, inoxydable. Si les textes qu’il chante varient avec les modes et les auteurs et si son discours publique est volontiers modeste, force est de constater que, lui aussi, après une jeunesse houleuse est tombé du côté où il penchait.
A qui profite Johnny ? Au couple Chirac qui, dès 86, le mis à contribution pour vanter les premières privatisations. Cet été encore il sert de bouffon officiel de Bernadette en Corrèze, loin de la lutte des intermittents et près du manche. Et il y a fort à parier pour que les autres "stars" du Rock aient suivi la même pente.
La liste de ces figures de la révolution libérale est longue. Pour vivre et prospérer bien des artistes lucides sont obligés de mettre de l’eau dans leur vin rouge, mais, comme le veulent les lois de la société du spectacle, ce sont encore les plus militants d’hier qui font les plus renégats d’aujourd’hui.