Le monde ancien est mort et l’autre n’est pas encore là,
ces moments sont propices à l’apparition de monstres
La crise ouverte avec la dissolution surprise de juin 2024 relève-t-elle exclusivement de la politique ? La société française et ses élus de tous bords ne sont-ils pas dans une essoreuse déjà à l’œuvre aux USA ?
Mondialisée par le capitalisme, la France ne paie-t-elle pas la facture des années 80 ? C’est à cette époque que les possédants ont décuplé leurs richesses et clivé la population…
le dégageur dégagé
Bien au chaud dans les poubelles de l’Histoire Hollande, Sarkozy et quelques autres regardent le dégageur se faire dégager.
Vous vous souvenez ? En 2017 Macron était tout nouveau, tout beau ! C’est désormais la caricature du président-de-la-cinquième-république qui sacrifie tout, y compris les siens, à son égo. Jadis bénéficiaire de la défiance des Français pour les élites politiques il est désormais l’homme le plus détesté de France à cause de son mépris. Possible mais consciemment ou non on lui reproche surtout d’avoir déçu l’espoir qu’il incarnait : lui comme sa politique n’avaient rien de nouveau. L’Histoire dira-t-elle autre chose demain ? Nul ne le sait car l’inédit qui s’ouvre sous nos pieds est de l’acabit du Brexit ou de l’élection de Trump… Le monde ancien est mort et l’autre n’est pas encore là, ces moments sont propices à l’apparition de monstres disait Gramsci dans les années 20.
la facture des années 80
Le vieux monde c’est moins celui de l’après guerre que celui des années 80. A cette époque les classes moyennes occidentales vivaient plutôt bien sans s’imaginer décliner, vieillir, polluer et surendetter leurs pays. La culture de ces années-là était optimiste à l’image des publicités qui envahissaient tout. Le média omniprésent, la télé, multipliait les chaînes et exhibait des distractions sexuelles et/ou humoristiques sans fin en habituant les enfants et les parents à travailler moins et consommer plus. Certes les « pays riches » avaient leurs « nouveaux pauvres », leurs drogués ou le SIDA mais l’espoir persistait, après tout ailleurs, en URSS par exemple, c’était franchement pire. Ici au moins on savait que la prochaine voiture, achetée souvent à crédit, serait meilleure. C’est la pub qui le disait !
Puis ce modèle s’est lentement grippé : la natalité a baissé rendant nécessaire l’immigration et ses malentendus inévitables. Ce fut donc, toujours dans les années 80, le renouveau de l’extrême-droite ressassant sans arrêt les défauts de ce libéralisme sans frontières ni alternatives. Spectateurs sommés de choisir les citoyens-consommateurs se voyaient proposer un méchant idéal à détester, à savoir J.-M. Le Pen qui n’allait pas tarder à présenter la factures à ses marionnettistes...
La suite est connue : la création de richesses a été si rapide et si concentrée que les dites classes moyennes ont été petit à petit distancées dans la mondialisation. Quant aux classes populaires, elles furent condamnées au chômage et à subir en premier tous les travers d’une société ouverte. Elles rechignent donc à voter Maastricth en 92, virent Jospin en 2002, rejettent la « constitution européenne » en 2005, sortent Sarkozy en 2012, et se vouent à Macron en 2017 : le raz-de-marée de En Marche n’est pas sans rappeler celui, actuel, du RN. La seule logique est, et reste, « sortez les sortants ! ». On vote comme on consomme : sous le coup d’émotions au milieu d’un spectacle médiatique incessant.
Et pendant ce temps les dettes croissent et les problèmes de fond restent alors que l’histoire se fait ailleurs : c’est en Chine qu’on produit, aux USA qu’on innove et ailleurs encore qu’on investit.
Déclin énergétique et escroqueries politiques
Depuis 2007-2008 l’énergie disponible en Europe commence à se raréfier (dixit Jancovici) : le pétrole et le gaz sont plus loin, plus chers, plus problématiques depuis l’invasion de l’Ukraine… La hausse des prix de l’énergie (et donc de tout le reste) est continuelle et accélère la ruine des ex classes moyennes. Avec une économie endettée corrélée à l’énergie disponible c’est le lent plongeon. Les boomers ne sont pas écologistes pour cette raison : un environnement moins pollué, c’est moins de consommation et leur mode de vie ne repose que là dessus !
Les vrais clivages étant masqués par la complexité des problèmes et le coût des solutions les médias alimentent des paniques morales secondaires et l’État ne finit par gérer (et fort mal) que les urgences et la com gouvernementale. De plus, la caisse de résonance des réseaux sociaux décuplent le blast et la sidération de chaque incident. La colère est générale et les puissances d’argent utilisent tous les moyens pour éviter de payer la note. La leçon de 1917 a été retenue. Bolloré est l’exemple abouti, mais pas unique, du capitaliste des années 30 qui préfère ouvertement la dictature à une démocratie qui exigerait qu’il paie ses impôts. A froid il corrompt, espionne et rachète des médias, imaginez demain.
Ce n’est pas nouveau, les USA ont montré l’exemple : une minorité d’ultra-riches (Musk, Bezoz…) innovent et dictent ses lois (lien) à une Amérique majoritairement dégoûtée (50 % d’abstentions aux élections) et où deux minorités activistes se haïssent en miroir. Nous en sommes arrivés exactement au même point. On notera que Trump, les brexiters ou autres Milei ne changent absolument rien au système qu’ils prétendent contester, au contraire, ils blindent davantage les privilèges de ceux qui les financent en opposant le reste de la population à elle-même.
Ce qu’il y a de plus désespérant dans le « choix » actuel est que les grandes questions ne sont jamais abordées : quid de l’énergie ? De l’environnement ? De l’endettement ? Du vieillissement généralisé de nos pays ? Ces questions centrales et vitales ne collent pas avec la durée d’un mandat ni aux étiquettes des candidats. Déstabilisé et ruiné par un capitalisme toujours plus concentré il n’est pas surprenant que l’électeur moyen français soit hypnotisé par Marine Le Pen ou Mélenchon qui ne sont que des boomers qui ne veulent pas passer la main.
- - -
La crise actuelle n’est donc que le début d’une longue phase de déstabilisation des démocraties libérales issues de l’après-guerre. Reposant jadis sur une énergie abondante et donc sur des classes moyennes consommatrices, elles sont aujourd’hui l’otage d’endettements colossaux qui poussent les riches à tout faire pour éviter de payer leur part.
Le fascisme des années 20 fut-il autre chose que l’alliance de grands bourgeois égoïstes et de petits bourgeois ruinés ? Est-ce un hasard si Macron a fait reculer tous les curseurs de l’État de droit ? Aujourd’hui les partis anti-système ne sont pas animés par des anciens combattants mais par d’anciens jeunes.
lien : "le FN ne fera rien" (2013)