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À quoi servent les religions ? À relier. À donner du sens.
Depuis toujours, l’Humanité est crédule et croit. En un dieu, en une idéologie, ou aujourd’hui, en la science. Croire, c’est tenter de repousser la finitude. Mais nos croyances changent à mesure que nos techniques se transforment.
En quelques décennies, l’urbanisation et la modernité ont bouleversé nos sociétés. Les divorces se sont généralisés dès les années 1960-70. La natalité a chuté au point de menacer le renouvellement des générations. Et si nous sommes encore nombreux sur Terre, la baisse de la population devient, ici et là, un défi inédit.
Les anciens cultes, eux, tentent de survivre. Certains s’adaptent, d’autres se fragmentent en sectes plus radicales. Mais aucun ne parvient à enrayer la solitude, la chute des naissances, la pollution ou l’épidémie de troubles mentaux. Dans les pays les plus innovants, la foi ne protège plus. Le nihilisme, lui, gagne du terrain jusqu’à nourrir certaines violences extrêmes. Les tueurs de masse américains sont souvent des désespérés définitifs, ulcérés de ne plus être consommables.
Le sociologue Zygmunt Bauman parlait de « société liquide » avec des liens sociaux devenus fragiles, dissous par la mobilité et la technologie. La famille est désormais une équipe temporaire, susceptible d’être remise en cause à tout moment. Syndicats, entreprises, nations : tous les collectifs se fragilisent. Beaucoup grandissent sans frères, sans sœurs, parfois sans attaches. Quant à la conjugalité, elle devient une sorte de comédie dont les femmes ont fini par comprendre la chute. Elles prennent les devants, partent avant d’être quittées.
La cause profonde ? La technique. Sans révolutions technologiques nos sociétés seraient restées féodales. Mais les applis de rencontre, la surveillance numérique, le traçage des messages et des déplacements ont transformé la vie intime en champ d’expérimentation sinon en champ de bataille. La famille traditionnelle, comme l’Église, ne résiste plus. Quelques minorités s’y accrochent parfois pour mieux en abuser.
Seuls, instables, marchandisés, nous avons trouvé un nouveau miroir : l’intelligence artificielle.
De plus en plus de jeunes affirment préférer discuter avec une IA qu’avec un être humain. Dans les pays les plus technophiles (Japon, Corée du Sud...) certains vont jusqu’à se marier avec eux-mêmes, un ami imaginaire ou un personnage virtuel. Bientôt, ce sera peut-être avec une IA.
Pourquoi ? Par confort, par curiosité, par désillusion aussi. Ces programmes, toujours plus puissants, remplissent peu à peu les fonctions jadis tenues par les religions : écouter, conseiller, réconforter, donner du sens. Certaines IA simulent déjà des proches décédés ou accompagnent les vivants dans leur quotidien.
L’interlocuteur n’est pas réel ? Certes. Mais l’étaient-ils, ces totems, ces statues, ces images sacrées à qui l’on prêtait jadis des pouvoirs ? L’IA, comme les dieux d’autrefois, fonctionne sur la croyance et ont la bonne idée de répondre explicitement à nos questions.
Si la puissance informatique continue de croître, les religions finiront peut-être au musée, comme les livres avant elles. L’homo numéricus reste un être de relation : il a besoin d’un Autre pour se prouver qu’il existe. Que cet Autre soit humain, animal, imaginaire ou digital, cela importe finalement peu.