QUE FAIRE Valeurs et Actions Républicaines

la loi sur le voile

Loi sur le "voile" :

l ’arbre ou la forêt ?

 

par : Terouga, février 2004 

Depuis les années 70 la société française se fissure pour éclater ici ou là (ghettos urbains, vote FN, chômage, voile...). Mais les media ne traitent jamais le contexte de ces contradictions violentes. C’est plus que jamais le cas pour le voile et le débat fumeux qui agite le cirque médiatique. Intéressés aux voix qu’ils pourraient récolter en se prononçant pour ou contre cette loi, les politiciens et les groupes activistes divers sont des ennemis bien trop complémentaires pour espérer une sortie par le haut. Le tout sur fond de fragilité du pouvoir politique.

Refusant pertinemment de poser à plat les vrais problèmes (crise économique, abandon de souveraineté, libre-échange...) le pouvoir et ses prétendus adversaires trouvent intérêt à une guerre civile froide... Diviser pour régner ? Après de Gaulle, Machiavel ?

 

  1) Diviser pour...

Le contexte dans lequel a été annoncé la loi sur le voile n’est jamais rappelé ou préciser par les media, pourtant, il est déterminant pour comprendre les enjeux de la polémique actuelle.

Sur le moyen terme la "crise du politique" est une donnée majeure. Depuis le milieu des années 1980 les électeurs ont tendance à lourdement "sanctionner" les partis de gouvernement : abstention, émergence de partis autoritaires, alternances... Les élites politiques sont soumises à une pression énorme de la part des électeurs, des media, des lobbies. Aussitôt aux affaires le pouvoir leur échappe. Ce phénomène inquiétant est à associer à la politique économique qui réduit de plus en plus les capacités d’action des gouvernements.

Sur le court terme on aboutit à une crise structurelle qui se nourrit elle-même pour atteindre un sommet avec les présidentielles de 2002. Les deux tours sont aussi riches d’enseignement sur l’état du pouvoir : premièrement, une politique libérale ne mène qu’à la décomposition sociale et donc à la désintégration des partis politiques dits "classiques" (disparition des militants, financements occultes, brouillage du discours...). Ces partis sont très capables de gérer une situation stable, mais incapables de gérer une situation de crise. Outre le succès apparent du candidat du FN, le 21 avril 2002 a surtout mo ntré une érosion inédite des voix du candidat le plus implanté dans l’appareil d’État : Chirac. Avec 19 % des votants ( moins de 15 % des inscrits) Chirac réalise un score minable pour un président sortant. Même analyse pour Jospin avec un score à peine moins important...

Et le 5 mai face à un candidat peu sérieux le même Chirac réalise le meilleur score de toute l’histoire des républiques françaises. La République en sort-elle renforcée ? Cela aurait été le cas si Chirac n°2 avait profité de cet électrochoc pour changer réellement de politique en revenant par exemple aux sources du gaullisme (planifications, nationalisations, industrialisation). Au lieu de ça il a délibérément poursuivi la politique de la prétendue "gauche plurielle" : privatisations, abandon de souveraineté, croupissement social, tyrannie patronale, et corruption généralisée. Petit à petit le pouvoir abandonne aux secteurs privés (national et international) des espaces entiers de souveraineté, favorisant ainsi les crises économiques de demain et générant des millions d’exclus.

Cette politique de la pourriture génère obligatoirement du mécontentement et cela bien au-delà des groupes traditionnellement hostiles à la "droite" (petits bourgeois urbains cultivés). Les clientèles habituelles du gaullisme à papa souffrent autant que les ouvriers sous la gauche plurielle : petits commerçants, cadres, hauts fonctionnaires, petits patrons, chasseurs, moyens et gros paysans, etc. Tout le mo nde pâtit de la politique dictée par des trusts aussi anonymes qu’agressifs.

Ce mécontentement général et inorganisé prend des formes variées et temporaires : la dernière grande secousse aura été les manifestations monstres contre la "réforme" des retraites. Pour la première fois depuis des années on a parlé de "grève générale". Dans cet épisode classique de la lutte des classes (salariés contre patronat) les baudruches médiatiques habituelles furent dépassées : disparition du FN, oublie de l’insécurité...

Que peut faire le pouvoir face à un tel magma ? Les recettes classiques des gouvernements faibles existent toujours : journalistes révérencieux, réseaux occultes, subventions des "amis", spectacles, etc. Mais le gros de la population ne marche plus. Le roi est nu.

Comprenant confusément cela la présidence s’est drapée dans les habits rapiécés de l’unanimité. Après le rempart des valeurs de la République, voilà le quinquennat placé sous les auspices de la lutte contre le cancer, pour l’écologie, le droit des handicapés, la violence routière, etc. Que des masques vides destinés à creuser un écart artificiel entre des ministres laids et impopulaires et un roi juste et bon.

 

2) ... Régner ?

C’est entre une grève générale presque réussie et une défaite certaine aux élections régionales que le "débat" sur le voile est passé des journaux télé aux salons présidentiels avant de reprendre le chemin inverse.   Prenant la gauche à son propre piège, la présidence a jugé bon de s’arroger un nouveau monopole du bien : la laïcité. Électeur de gauche, de droite et des extrêmes peuvent aisément se retrouver derrière la défense d’un si haut principe. Et pourquoi pas mouiller un maximum de gens dans une commission aux entretiens retentissants ? Si on mesure le traitement médiatique de la question on s’aperçoit vite que le chômage et la situation sociale passent très vite au second plan... Et silence total sur l’économie des quartiers qui voient fleurir les voiles. La question se pose sous une forme très libérale : les principes, le contrat et le droit sans rapport avec la société ou les contraintes.

Chaque spécialiste a, selon sa discipline, une idée plus ou moins défendable sur le voile. L’éclatement de la galaxie féministe et gauchiste illustre bien le trouble qui saisit les militants professionnels devant la recrudescence des voiles. Alors que LO milite avec des féministes orthodoxes pour une interdiction du voile dans l’espace scolaire, les "alternatifs" et la LCR accusent davantage l’État d’exclure des enfants finalement comme les autres, etc. Et ce genre de débats fumeux se retrouvent dans toutes les familles politiques et dans les syndicats enseignants. Comme si une position majoritaire en la matière pouvait restaurer la concorde.

Et que dire du caractère "protecteur", "identitaire", "religieux" du voile brandi par des porte-parole tonitruants ? Se positionner sur le terrain religieux ou sexuel (pudeur de la croyante contre la bave des mâles) c’est déjà perdre la bataille car les responsables politiques du XXIe siècle n’ont pas à légiférer avec ce type d’arguments en tête pour la simple et bonne raison qu’au Maghreb même le voile n’est déjà plus une affaire religieuse : porter le voile c’est signifier l’appartenance à un rang social (femme mariée, mère de famille), une classe sociale (selon la qualité et la richesse du voile), une posture politique (contestation islamiste). Dans les trois cas le port du voile ou son rejet résulte non d’arguments intellectuels, mais d’un vécu social et d’une position dans la société. Le côté religieux n’est qu’un argument postérieur : on ne porte pas le voile pour des raisons religieuses, mais pour des raisons sociales. Même si dans les sociétés pré- modernes les deux côtés sont souvent confondus.

Qu’en est-il en France ? Deux décennies après avoir abandonné tout rôle redistributif, l’État post-keynésien récolte ce qu’il a semé : la discorde. Espérant que les immigrés seraient les seuls exclus de la politique de stagnation économique, les responsables politiques n'imaginaient pas que ces masses d’exclus parqués dans des ghettos urbains gigantesques s’agiteraient autrement que par une délinquance de bas étage. Or cette délinquance ne gêne pas grand monde : elle touche des citoyens eux-aussi exclus économiquement et participe au grand casino libre-échangiste. Du Maghreb aux Pays-Bas, les jeunes de banlieues les plus inventifs trouvent des ressources vitales pour le quartier en alimentant la petite et mo yenne bourgeoise en produits exotiques si mal interdits. Qui cela dérange-t-il ?

Si la situation en était restée là les politiciens ne s’en seraient jamais préoccupés. Et quand les premières affaires de voile ont défrayé la chronique au début des années 90 il n’était pas question de donner raison aux fonctionnaires soucieux de faire respecter un peu de neutralité à l’école. Désarmés par le charabia libéralo-pédagogiste les enseignants furent bien des derniers soutenus par leur hiérarchie. Pour apeurer les électeurs bourgeois rien de tel que quelques indigènes remuants... La gauche a passé son temps à jouer avec le "méchant" FN pour rallier les voix des banlieues jusqu’au jour au Chirac leur a volé leur jouet... Au milieu de ce maëlstrom il est peu étonnant qu’une génération soit marginalement contaminée par une sorte de "lepénisme" vert, à la fois revendicatif, violent et surtout découplé des réalités sociales réelles.

Les politiciens les plus lucides réalisent bien que cette loi ne résoudra rien. Elle confortera quelques réactionnaires dans leur hostilité à la République et poussera les plus abrutis dans une violence qui, dans ces espaces urbains misérables, paie tellement plus vite que le reste.

Ainsi ce qui était comparable aux strings apparents ou à l’essor de la pornographie amateur (une "dé mocratisation" de signes provocateurs élitistes) va devenir un enjeu politique sans débat, une carotte médiatique récurrente et un immense paravent pour la question sociale qui peut, seule, résoudre le problème. Dans une société de croissance et d’emploi ces filles, réduites à la marginalité vestimentaire pour tromper le néant social qui les attend, auraient une porte de sortie.

Le voile est une sorte de fuite en avant, un féminisme réactionnaire qui crie "j’existe" dans un monde où le paraître à remplacer l’être faute de travail et de revendications collectives. C’est pour cela que les groupuscules musulmans mo dérés comme radicaux ne sont que les avatars des fissures qui fragilisent les droits collectifs. Seul l’intelligent Tariq Ramadan attire l’attention sur le caractère social de la République, les autres chefs musulmans préfèrent ignorer cette dimension nécessairement intégratrice pour que le militantisme de quelque unes exercent une pression sur bien d’autres. Quand la France salariée manifestait pour défendre les retraites et autres droits sociaux où étaient les femmes voilées ? Déjà très massivement exclues du monde du travail (le seul monde où peuvent se rejoindre l’individu et le collectif) les femmes voilées et leurs équivalents barbus sont déjà dans une logique de ghettoïsation où la question n’est plus sociale mais infra-sociale et tribale. C'est avant tout ça le "lepénisme" vert.

Renforcer les pouvoirs de la police ou garantir la laïcité est plutôt une bonne stratégie, mais réduite à cela, sans moyens et surtout au milieu d'une véritable casse sociale on ne peut que souligner la démagogie et l’incohérence de telles mesures.

 

  3) La République éclatée

Quand les victoires collectives ont cessé d’êtres possibles (fin des années 70), la société s’est petit à petit fissurée et une génération après on trouve un peu partout, dans les angles morts de la société de marché le "retour du refoulé". Réduite à la misère, la Corse agonise sous les coups des bandes "nationalistes" rivales. La Bretagne redécouvre et surtout réinvente une langue bretonne sans issue sinon celle de rejeter l'héritage commun. Les départements basques veulent fusionner. Le Nord ou l’Est accumulent des espaces de misère sans équivalent en Europe occidentale sur fond d’euro-régions... La région Centre qui n’a jamais été qu’une annexe du domaine royal parisien se cherche un nom alors que le sud-ouest lorgne sur la si puissante Catalogne, etc.

Seule république "indivisible" d’Europe, la France se trouve tiraillée entre les diktats humiliants de l’Europe (interdiction d’avoir une politique économique, mo nétaire et fiscale) et l’éclatement du consensus social local. Incapables de traiter les causes (libéralisme économique et abandon de souveraineté), les politiciens locaux traitent les conséquences, ils achètent une paix sociale très relative à coups de subventions et d’allocations qui, tel un racket géant, alimentent le mal au lieu de le soigner. L’exemple des allocations familiales est éloquent : elles sont totalement déresponsabilisées de toute obligation scolaire.

Et pendant que les militants de tous poils se déchirent pour le gâteau électoral du voile (être contre et gagner des voix "islamophobes" ou être pour et pactiser avec les lepénistes verts ?) les trusts américains, la bourgeoisie bien française et l’Europe libre-échangiste se partagent discrètement le pactole des droits ouvriers (retraites, sécurité sociale, entreprises d’État...).

Cette nouvelle guerre civile froide n’en est donc qu’à ses débuts. Les adversaires en présence sont bien trop complémentaires pour disparaître : le FN est absolument nécessaire à l’autre camp du deuxième tour et les Tartuffes musulmans ou les "racailles" de la télé sont bien trop indispensables au premier tour...

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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