Les méga-agriculteurs ont à leur services toutes les gendarmeries contre les manifestants anti-bassines
Toute société fabrique ses contradictions. La notre peut-être plus du fait de sa productivité.
A l’échelle globale comme à titre individuel c’est toujours la même schizophrénie : on veut la fidélité et la liberté, le beurre et l’argent du beurre, etc. Généralement on survit assez bien au milieu de ce maquis de biais contradictoires : on ment, on se ment, on zigzague… Un peu comme quand on éduque un enfant et qu’il pose, en retour, des questions gênantes du fait des contradictions du discours parental. On esquive.
la question environnementale est venu décupler ces contradictions ordinaires
On vit donc (presque) bien ces choses, or récemment, la question environnementale est venu décupler ces contradictions ordinaires. Comme la question sociale au XIX°s on veut plus et moins à la fois. La révolution industrielle a développé la production mais aussi créé une classe sociale à la fois nouvelle, nécessaire et contestataire. Tout le monde voulait améliorer la vie des prolétaires mais absolument personne ne voulait en payer le coût… Cela donna par exemple le discours de l’Église à la fin du XIX°s qui proposait tout et son contraire, la liberté dans l’esclavage et réciproquement. La confusion était grande et les violences aussi.
Il en est de même aujourd’hui avec l’écologie : l’anthropocène est si avancée que même les élites les plus conservatrices (la bourgeoisie du XXI°s) ont réalisé que le système capitaliste sciait l’arbre où il était assis : sans poissons plus d’industrie de la pêche, sans forêts plus d’industries du bois, sans eau ni énergie plus d’économie ! Il est donc urgent de « faire quelque chose » pour ralentir le réchauffement climatique ou encore gérer les dernières ressources. C’est devenu une évidence partagée par tous à l’heure où même les technocrates les plus classiques (E. Borne) parlent de sobriété nécessaire… Rappelons que c’est A. Gore, adjoint du très main stream W. Clinton qui popularisa pour la première fois le thème du réchauffement climatique avec son documentaire Une vérité qui dérange (2006). Si on met de côté les réseaux climato-sceptiques la question est : qui va payer ? Lénine disait que la bourgeoisie était prête à tous les changements... du moment que c’était le prolétariat qui prenait les coûts et les coups ! Cela n’a guère changé. Les ultra-riches n’ont rien contre la transition écologique du moment qu’ils n’en paient pas un centime.
Les riches n’ont rien contre la transition écologique du moment qu’ils n’en paient pas un centime
C’est pourquoi dès qu’une instance quelconque avance une demi-mesure allant dans le sens d’un ralentissement de l’exploitation des ressources c’est la zizanie la plus complète ! Et ce ne sont pas les classes populaires qui manifestent mais bien les intérêts économiques les plus installés. Par exemple les agriculteurs bretons qui sont à la source de ravages écologiques inédits ont obtenu la suppression de la taxe carbone sur le transport. Les autres méga-agriculteurs ont à leur services toutes les gendarmeries contre les manifestants anti-bassines. Une cellule de surveillance des écologistes (dite « Déméter ») est même dédiée à leurs intérêts. Aux Pays-Bas, modèle démocratique, un parti populiste rural a fait d’excellents scores quand le gouvernement a décidé de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’élevage ! Et que dire quand les législations antiterroristes (!) sont utilisées contre des écologistes ? Plus courageux que Clémenceau Darmanin s’expose à tous les périls en voulant dissoudre les Soulèvements de la Terre… Tant de bravoure marquera l’Histoire des générations futures.
Plus courageux que Clémenceau Darmanin s’expose à tous les périls
Ailleurs c’est partout la même chose : les lobbys économico-financiers très bien installés dans l’appareil d’État bloquent toute mesure de protection effective comme par exemple l’interdiction en Europe des pesticides notoirement dangereux.
Et comme si cela ne suffisait pas des « inconnus » menacent les journalistes ou les militants qui veulent agiter l’opinion. Le Monde signalait en mars 2023 que les agressions et intimidations de personnes impliquées dans ces combats sont devenues régulières. Alors que dans les pays pauvres on massacre les écologistes par dizaines chaque année le grand capital français prend le même chemin que leurs cousins exotiques.
nous nageons dans une mer d’injonctions où on exige que ce soit d’abord l’Autre qui agisse
On en est là et le président Macron préfère demander une « pause réglementaire » en matière d’écologie à Bruxelles plutôt que de mettre le problème sur la table. Il trouve tout aussi obscène de taxer les riches pour fiancer la transition écologique… Pourquoi un tel déni ? Car parler vraiment des intérêts qui profitent de la pollution c’est mettre en accusation notre monde de vie et plus encore les gros bataillons des électeurs propriétaires. Et nous sommes presque tous plus ou moins complices car bénéficiaires d’une économie de la croissance : nos écrans, nos vêtements, nos déplacements sont issus d’une économie prédatrice. Et nous voulons aussi -par pur égoïsme- plus de nature, moins de bruit, moins de déchets abandonnés, moins de chasse, plus de bio, etc. Bref, nous nageons dans une mer d’injonctions où on exige que ce soit d’abord l’Autre qui agisse (et se restreigne) tandis qu’individuellement on reste attablé devant nos privilèges. Il en était de même de pas mal de nos compatriotes pendant l’Occupation : la majorité attendait et espérait en ne faisant rien. De même avant 1789 où la noblesse quelque peu informée espérait des changements mais ne voulait surtout pas payer d’impôts.
Le degrés de contradiction c’est comme les degrés des températures : jusqu’à un certain point c’est tolérable, après on se brûle. Comme les forêts canadiennes ? Ou australiennes ? Ou d’Aquitaine ?