Après une année de gestation et de « gestion » de l'urgence par les Etats, la crise économique a frappé le monde entier à partir du mois d'août 2008. A un effondrement des bourses inédit en proportion et en durée s'est ajouté une baisse rapide de la demande et donc de la production industrielle. Conséquence : les chômeurs supplémentaires se comptent par dizaines de millions un peu partout dans le monde industriel. La mondialisation capitaliste rendue possible par l'implosion de la sphère soviétique puis de la financiarisation des économies sociales-démocrates est une chaîne. Logiquement cette chaîne rend les Etats solidaires dans la grande dépression. Mais les maillons les plus fragiles sont autant de dangers potentiels qui peuvent casser et engendrer de nouvelles difficultés en cascades. Sur tous les continents, dans tous les Etats c'est l'heure des comptes pour un système capitalisme centré sur les USA qui n'a, non seulement résolu aucun problème de l'Humanité, mais surtout décuplé les inégalités et ravagé l'environnement au nom de profits jadis incertains et aujourd'hui anéantis. Pour les grands équilibres issus de 1945 renforcés après 1991 c'est le début de la fin, reste à savoir quelles seront les conséquences géopolitiques d'un univers capitaliste entré dans des contradictions si ingérables qu'il commence à s'écrouler comme un château de cartes.
1. L'ex « nouvel ordre mondial »
Les responsabilités des difficultés actuelles sont connues depuis bien longtemps : quand les grands groupes capitalistes ont utilisé la théorie libérale pour décupler leurs bénéfices les élus et les structures étatiques se sont mis progressivement au service des machines à spéculer : la droite a perdu ses valeurs nationales et la gauche n'a su que faire face au tsunami libéral. Logiquement, à chaque occasion de corriger le tir (par exemple lors de crises boursières sévères) les hommes politiques sont restés l'arme au pied, englués dans les « règles du commerce international » (OMC), la « libre circulation des capitaux » (traités européens), les privatisations, etc.
A chaque alerte les Etats ont prêté de l'argent à des ensembles bancaires et financiers qui, renfloués sans contrepartie, ont poursuivi leur fuite en avant dans l'endettement. Cet endettement ne fera que croître officiellement, c'est l'exemple des prêts immobiliers aux USA ou en Espagne consentis à des foyers insolvables, mais c'est surtout les emprunts « titrisés » qui inondent le monde financier avec une telle facilité que toutes les banques achètent ces futurs « titres pourris ». Ailleurs, des traders encouragés à faire des "coups" perdent des fortunes malgré des précédents retentissants (1). L'essentiel de la bulle et du désastre est longtemps caché dans des dizaines de paradis fiscaux, rouage essentiel de la finance mondialisée et vrai boîte de Pandore du capitalisme globalisé.
La gravité de la situation actuelle réside dans le fait que c'est le cœur du système qui a craqué et non la lointaine périphérie
Cette politique a mené à la ruine les industries des pays à l'origine de cette politique : USA et Grande Bretagne ont les industries les plus affaiblies par cette politique. Pour suivre l'Allemagne et le Japon ont délocalisés massivement leurs usines. Sans industries, des pays comme l'Espagne, l'Irlande ou l'Islande ont surenchéri dans la bulle spéculative généralement immobilière. Finalement le « socialisme » français (retraite par répartitions, sécurité sociale et fonction publique...) a mieux tenu, l'Etat gérant encore pas mal d'actifs échappant quelque peu au chaudron spéculatif.
La gravité de la situation actuelle réside dans le fait que c'est le cœur du système qui a craqué et non la lointaine périphérie : l'Argentine en 99, la Russie en 98 ou même la Corée en 97 ont été gravement mais temporairement touchées, généralement, des mesures étatiques et protectionnistes ont facilement éviter le pire, mais là, les USA ont beau injecter des centaines de milliards de dollars, l'économie réelle n'en profite nullement et la dette américaine cumulée atteint des sommets si inouïs que c'est le dollar qui pourrait bien dévisser et achever définitivement la puissance de l'oncle Sam. En cela le « nouvel ordre mondial » instauré par Bush père en 1991 est ruiné, les Etats-Unis ne sont plus une puissance mondiale et leurs difficultés actuelles les font revenir au rang de simple puissance régionale comme le Brésil en Amérique Latine. Aujourd'hui les USA doivent tenir compte des autres Etats pour ne pas sombrer complètement. Leur invasion de l'Irak en 2003 et l'opposition de pays jadis alignés comme la France ou l'Allemagne a bien montré, avec la nouvelle indépendance de l'Amérique du Sud, que les USA n'étaient déjà plus les maîtres du monde, la dépression actuelle va les plonger dans de telles difficultés intérieures que leur impérialisme va se déliter. Pire encore la structure fédérale pourrait bien être soumise à d'énormes tensions car tous les Etats américains, complices dans l'endettement et l'externalisation des conflits, n'ont aujourd'hui plus les mêmes intérêts. Ainsi la Californie, huitième puissance mondiale jadis est... en cessation de paiement ! Le gouffre des dettes oblige le gouverneur Schwarzenegger à ne plus financer certains services publics locaux. En réaction les communes et autres districts ne font plus remonter les impôts au niveau de l'Etat, etc. Transposer ces problèmes à l'échelle fédérale et le pays est au bord du délitement. Un rapport du Pentagone a même récemment mis en garde la nouvelle administration Obama contre les risques d'éclatement du territoire américain... Une première depuis la guerre de sécession.
Avec la baisse vertigineuse de la demande, les grands Etats états-uniens producteurs de richesses (agricoles, industrielles ou de services) vont subir un chômage colossal qui va perturber les relations avec le nord du Mexique, zone de montage des produits « made by usa ». Après la fin de la puissance américaine c'est la seconde conséquence chaotique : l'extension des « zones grises » à l'immédiate périphérie ou dans les anciennes puissances économiques.
source : http://www.time.com/time/photogallery/0,29307,1827101_1742252,00.html
2. L'essor des « zones grises »
Alors que l'Union Européenne est encore moins fédérée que les USA, certaines régions de l'U.-E. vont, elles aussi, sombrer dans un désordre plus ou moins complet. Là où la puissance étatique est traditionnellement faible, des structures para-étatiques vont occuper le vide : ainsi les mafias italiennes n'ont-elles jamais été aussi puissantes et violentes qu'aujourd'hui : relais du côté sombre de la mondialisation, elles se trouvent à la fois ruinées par la baisse des échanges et en position de gérer le quotidien de territoires à la place d'Etats de droit, souvent faibles historiquement. Et en Europe géographique les exemples de « zones grises » ne manquent pas : l'Albanie ou le Kossovo sont de bons exemples d'espaces où des structures criminelles ont le dernier mot. Même chose pour certaines régions roumaines qui génèrent des flux migratoires parfois à finalité délinquantes quand la croissance n'est plus là.
La terreur sert à exploiter la population au maximum
Pour revenir au Mexique, la violence inouïe qui opposent trafiquants de drogue et forces de l'ordre à la frontière nord est un exemple de territoire maffieux où la loi de l'Etat ne s'applique plus, où les moyens de production rapportent de moins en moins et où la terreur sert à exploiter la population au maximum.
L'Afghanistan sous occupation occidentale est aussi une « zone grise » où bandes armées, forces d'occupation et milices intégristes se livrent une guerre à outrance pour contrôler un espace de transit des richesses naturelles. Il en est de même dans certaines régions pakistanaises où l'Etat n'existe que comme une faction de plus dans un conflit généralisé.
source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/ba/Afghanistan_map_-_security_by_district_and_opium_poppy_cultivation_by_province_2007_-_2008.gif
Et que dire de vastes espaces dans l'ex-Zaïre ou entre le Tchad et le Soudan ? Des dizaines de groupes armés pullulent et agissent au détriment des civils et souvent contre des contingents occidentaux.
Ruinée intérieurement ou en grande difficulté, les pays occidentaux ne pourront plus ne voudront plus investir des budgets énormes pour contrôler très superficiellement des espaces lointains (Afghanistan) ou gigantesques (frontière mexicaine). Le contrôle très relatif des côtes somaliennes (première "zone grise" des années 90) est déjà très couteux.
L'Asie aussi va connaître un développement des groupes armés et des zones incontrôlées : traditionnellement les îles indonésiennes et philippines sont peu intégrées aux structures étatiques, les populations marginalisées (souvent des minorités ethniques) et les pirates sont les postes avancés de cette décomposition qui va être proportionnelle à la baisse des échanges intercontinentaux. Cette insécurité de type « somalienne » (exemple de territoire sans Etat où bandes rivales et armées s'affrontent sans issue) ne peut que ralentir encore davantage les échanges comme le tourisme, déjà entamé par les difficultés sociales dans les pays « riches » et le terrorisme.
Et que dire des « banlieues », c'est à dire des zones de relégation urbaines à la périphéries des grandes villes occidentales, qui sont depuis des années des espaces où les lois ne s'appliquant plus de la même façon que dans le reste du pays ? Là aussi, un chaos à la fois actif et réactif va durablement s'enkyster sur fond de trafics divers (armes, drogues, matériel volés, contrefaçon).
3. La grande recomposition
Pourtant les scenarii les plus sombres ne sont pas certains. Si le grand krach économico-boursier était inévitable, il a éclaté avant que le libéralisme ait éliminé toute possibilité d'action politique. La population mondiale est plus éduquée et plus informée que jamais et peut donc réagir positivement. Dans le tiers-monde, depuis les années 60 les progrès sont inégaux mais réels, surtout en termes d'alphabétisation et de natalité. Des Etats se sont structuré comme en Inde, en Chine, au Brésil. L'Amérique latine est devenue réellement indépendante, la Russie est redevenue une puissance régionale et des pays comme l'Iran ou la Turquie ne sont ni des dictatures ni des républiques bananières. Il existe donc de vraies bases pour briser les mythes libéraux de la mondialisation des années 1991-2007 : la nation et l'Etat doivent être la base d'une reconquête des fondamentaux de l'économie, c'est à dire un partage des richesses qui permettraient à l'ensemble de la population de bénéficier de progrès en matière de santé, éducation, qualité de vie, environnement.
Le système bancaire doit notamment être définitivement mis au service
de l'économie réelle et non de vaines spéculations
Cela passe par l'instauration de contrôles dans l'économie mondiale : le système bancaire doit notamment être définitivement mis au service de l'économie réelle et non de vaines spéculations.
L'enjeu écologique et la question de la pauvreté se rejoignent ici : si le capitalisme n'est pas durablement domestiqué voir dépassé dans une planification à vocation écologique et sociale, l'Humanité sombrera dans un nouvel âge des ténèbres comparable à la désintégration de l'empire romain ou au déclin de la Chine au XIX°s.
note 1 : A Singapour le trader Nick Leeson accule à la faillite la banque britannique Barings en 1997. Aucune leçon n'en fut tirée.
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