Un champ politique désespérément stable
Plusieurs lectures en sont possibles. Seulement 26 % pour la liste UMP : dérisoire pour un parti soi-disant "majoritaire" - vote "sanction" donc à l'évidence. Retenons encore le pronostic médiocre pour le PS (21 %) qui montre bien que l'opposition cosmétique des co-gérants de l'UE ne trompe pas grand monde. Ajoutons le MODEM, troisième variante du bloc oligarchique, 13 % sur la bonne mine de son président, vote sans doute oppositionnel mais ô combien flou... Total, tout de même 60 % pour l'ensemble des partis responsables de notre médiocre présent, ce qui ne dénote pas une situation très révolutionnaire... Les partis les plus critiques des traités réactionnaires de l'Union Européenne : le Front de Gauche et Debout la République, plafonneraient à 5 et 1 %. Certes leurs discours restent confus et ne constituent pas une alternative achevée à l'européisme, mais une plus grande clarté programmatique modifierait-elle dans l'immédiat leur impact électoral ?
En résumé, l'antisarkozisme ne débouche sur aucune alternative politique, tout au plus il prépare un changement de personnel.
On peut se consoler en "faisant parler" les abstentionnistes, réputés exprimer un rejet radical de l'UE ou du jeu politique. Mais ne relèvent-ils pas pour la plupart du découragement ou de la recherche de solutions individuelles plutôt que collectives ? On peut encore arguer de la confusion idéologique qui génère des votes sans rapport avec les aspirations de certains électeurs, enfumés par le "vote utile" ou d'autres calembredaines. Sans doute cela existe-t-il, mais le schéma général reste celui d'un champ politique relativement stable, malgré le libéralisme prédateur, malgré la crise financière, malgré le naufrage de l'indépendance nationale.
Vote et angoisse sociale : hypothèse de travail.
La crise ne nourrit pas forcément la critique sociale. Le vote ne résulte pas d'une comparaison rationnelle des programmes ni d'une évaluation fondée des candidats, mais d'un « ressenti » beaucoup plus reptilien... Le discours politique, ses sous-entendus, ses retournements et ses reniements, laissent l'image d'une sphère opaque. Comment s'attendre alors à ce que les électeurs prennent au sérieux la cohérence toute rhétorique des discours ? L'adhésion -superficielle, fugace, le temps d'un passage dans l'isoloir - se joue sur des homologies, des identifications incontrôlées. Les partis aux affaires évoquent l'ordre légitime, sinon établi. Les opposants s'identifient, à leur corps défendant, au désordre qu'ils dénoncent.
Comme des noyés s'accrochant désespérément aux débris qui les entraîneront vers le fond, les électeurs expriment un besoin désespéré de stabilité, de points de repères... Les partis "alternatifs", loin de représenter une solution, ajoutent encore à l'incertitude. Même quand la situation leur donne raison, la peur et l'individualisme rabattent l'électorat vers les partis réactionnaires. Il est à craindre que cette configuration nourrisse encore de sérieuses déconvenues électorales pour ceux qui s'attendent à ce que la crise et la faillite idéologique des idées libérales se traduise rapidement par un basculement politique.
En 1789, tous les élus des États-Généraux étaient monarchistes
Préparer les vraies échéances
Serions-nous alors condamnés à suivre l'UMP-PS dans le naufrage civilisationnel qu'ils organisent ? Pas nécessairement, car si cette interprétation est juste, elle ne suppose aucune adhésion idéologique de la population aux partis établis. Juste un réflexe conditionné en l'absence de toute perspective alternative reconnue. Ces votes conformistes s'évaporeront comme rosée du matin si l'inquiétude devient désespoir et la peur, révolte. De telles mutations du sentiment populaire ne dépendent que d'un frémissement, un de ces battements d'ailes de papillon qui déclenchent les cyclones. En 1789, tous les élus des États-Généraux étaient monarchistes...
La médiocrité des perspectives électorales ne doit donc pas nous décourager. La réflexion que nous nourrissons et que les partis marginaux diffusent, malgré tout, durant les campagnes, préparent le terrain à de grands bouleversements. Mais ceux-ci ne se s'annonceront sans doute pas aisément dans les résultats électoraux. Le retournement du « sens commun » politique, la montée en puissance de nouveaux partis et l'explosion d'autres, l'irruption des véritables enjeux au cœur du politique, ne peuvent constituer un phénomène progressif. Mais si cela se produit, quelles idées seront disponibles pour refonder la civilisation ? Une déstabilisation générale ne fera pas plus émerger spontanément un ordre politique et économique satisfaisant que le statu-quo actuel ; les révolutions avortent ou accouchent de monstres le plus souvent, faute de disposer des outils intellectuels permettant de penser une véritable alternative à la fois viable et conforme aux besoins populaires . Pseudo-communisme, élucubrations fascisantes, pinochetisme ultralibéral... les impasses sont plus faciles à désigner que le contenu d'un retour à la République. Tel est l'enjeu de nos militantismes présents, qui dépasse de beaucoup les vicissitudes des campagnes électorales.
Mes lecteurs auront relevé l'imprécision de ma définition de l' « alternative ». C'est d'abord parce que l'analyse de l'apparent blocage politique actuel ne dépend pas d'un programme particulier. Il s'agit d'une analyse positive et non d'un « point de vue politique ». C'est ensuite parce que je suis convaincu que les programmes actuellement proposés par tous les partis institués sont foncièrement insatisfaisants, englués dans le « prêt à penser » de la configuration politique figée que j'analyse justement dans cette note. L'enjeu de la refondation intellectuelle en cours est de sortir de ces cadres de pensée, ce qui suppose de ne pas bloquer la discussion par des proclamations péremptoires et prématurées.