20 % des voix = 80 % des sièges
par : Terouga, juin 2003
Il y a peu de temps encore être antiparlementaire c’était être au pire facho, au mieux anar. Tout le monde avait en mémoire les sales gueules de ceux qui conspuaient le Parlement dans les années 30, et une bonne partie de ces "braves gens" en colère allait saluer les pleins pouvoirs à Pétain. Mais devant le chaos dans lequel s’enfonçait la IV° République, bien peu critiquèrent les réformes du Général de Gaulle qui, dans le cadre de la V° République, allait considérablement réduire les prérogatives du Parlement.
Aujourd’hui encore les deux chambres sont des appendices du système politique qui tourne sans se soucier vraiment des élus, quel que soit l'endroit où ils siègent.
Sans pouvoir d’enquête, ligoté par le 49.3, sans scrutin proportionnel, l’Assemblée mobilise de moins en moins d’électeurs pour son renouvellement. Les gens qui se déplacent encore pour voter le font sur des "têtes" ou sur des enjeux de plus en plus clientélistes. Un candidat bien implanté qui se représente pour la énième fois tente de faire croire qu’avec lui il y aura des emplois, des investissements, etc. Souvent, il n’en est rien. Alors les électeurs se détournent, votent de moins en moins ou se "défoulent" au premier tour. Malgré la hausse de l’abstention et avec la prime majoritaire une énorme "majorité" émerge toujours.
Ainsi la majorité de "droite" à l’Assemblée bénéficie-t-elle du même jeu vicieux que Chirac au second tour : au premier tour des présidentielles et des législatives la "droite" n’a guère rassemblé plus de 20 % des inscrits. C’est-à-dire que huit électeurs potentiels sur dix n’ont pas explicitement voulu de la "droite" au pouvoir. Et au second tour, le jeu s’enclenche et nous voilà avec 82 % pour Chirac et 80 % d’élus "chiraquiens" à l’Assemblée. Les proportions arithmétiques s’inversent, le rapport de force aussi. Ainsi une minorité politique peut squatter le pouvoir pendant des années en ne reposant sur absolument aucune majorité populaire contrairement à ce que nous font penser les "enquêtes d’opinions".
1962-1981 : la République équilibrée ?
Dans les années 60-70, une majorité et une opposition politique reposaient certes sur des élections très imparfaites au niveau de la représentation. Mais dans l’intervalle, des partis et des organisations de masse encadraient et relayaient les sentiments de la population. Le PCF organisait les quartiers ouvriers, le PS cultivait les salariés et les partis gaullistes ou démocrates-chrétiens éduquaient les franges les plus conservatrices de la société. Derrière une apparente hostilité verbale, les organisations diverses (partis, mutuelles, syndicats, associations...) "huilaient" la démocratie et faisaient oublier le caractère bonapartiste de la V° République. Malgré l’effet "prime" du scrutin majoritaire, les gaullistes ou les libéraux ne pouvaient négliger totalement les millions de gens plus ou moins influencés par les militants politiques ou les journaux partisans.
A droite comme à gauche, les partis politiques fonctionnaient avec des dizaines de milliers de militants, les cotisations finançaient les candidats, les directions devaient obligatoirement être quelque peu fidèles à la "base" : un corps charpenté était mu par une tête équilibrée. La quintessence de ce fonctionnement léniniste était le PS d’Epinay : François Mitterrand incarnant à la fois un chef politique soucieux d’être couronné par la base, mais aussi l’Homme de gauche susceptible de retourner la V° République au profit de son camp.
Mai 81 fut le dernier acte de cette démocratie équilibrée avec à la base la population et au sommet un roi républicain, et entre les deux de nombreuses organisations de tout bord.
1981-2001 : vingt ans après
Une fois Chevénement parti en 1983 l’expérience de "la gauche au pouvoir" se métamorphose assez vite en une sorte de machine médiatique qui repose moins sur des partis que sur des combines d’appareils. Truffés d’anciens militants d’extrême gauche les couloirs de l’Elysée cessent vite de raisonner des clameurs du "peuple de gauche" laissé aux élucubrations d’un Tapie ou aux provocations d’un le Pen : mourrir pour le peuple, mais pas vivre avec !
Opportunément, le pharaon d’Epinay nous rejoue le coup de "moi ou la droite", mais à chaque épisode la masse se doute de l’épilogue : la même politique est menée sans originalité mais avec cynisme. Quand les gens renâclent le cirque médiatique se charge de ramener le marais à la raison : l’adoption du traité de Maastricht en 1992 sera le point d’orgue de cette énorme baudruche, de cette machine géante à menacer les électeurs, le broching approximatif de N. Notat servant de caution "syndicale" à cette tragi-comédie.
Entre temps les partis historiquement représentatifs de salariés et des ouvriers ont perdu leurs militants, leurs illusions... Les congrès du PS ne sont plus que des caisses de résonances de duels où les idées ne servent qu’à masquer les intérêts. Les sourcils d’Emmanuelli pour éviter de parler du génocide ruandais, les chaussons de Fabius pour oublier la francisque du Maréchal, etc.
Du haut de ses scandales le Pharaon laisse Jospin l’ex-trotskiste, l’ex-ministre, l’ex-militant bricoler une nouvelle mouture de l’Union de la gauche pour nous jouer à nouveau "moi au le chaos".
2002-2003 : faillite politique et faillite économique
Et en 2002 ? Vingt et un ans après cet événement que reste-t-il de cette organisation équilibrée ? RIEN. Chirac a achevé définitivement le clivage droite-gauche en 95 en se faisant élire sur un programme "populaire". Ulcérée par tant de mépris, la population a montré durant l’hiver 95 aux syndicats et aux partis que les aspirations au progrès n’étaient pas mortes. Le libéralisme devait faire vite avant l’explosion sociale... Ultime tentative d’escroquerie idéologique la funeste "gauche plurielle" a eu son dû le 21 avril. Restait à plébisciter sans espoir Chirac n°2, sans programme, sans parti, sans relais dans la société. Cela sur fond de hausse du chômage et de désindustrialisation.
La "droite" aujourd'hui est comme la "gauche" hier : nue. Le consensus mou d’un libéralisme sénile ne saurait s’imposer à une société qui a perdu ses illusions. Aucun parti de masse ne peut plus répandre une quelconque bonne parole, seules les télés et quelques cyniques directement intéressés à la liquidation du bien publique insistent pour expliquer aux gens pourquoi ils devraient accepter de travailler plus, gagner moins et crever à la tâche. C’est cet écart abyssal entre les "partis" et la base qui explique la virulence du mouvement de mai 2003. Redoutant les directions syndicales, rejetant les complices de la "gauche plurielle", dégoûté des télés, les gens en lutte et la majorité de la population qui les soutient ne vont pas, ne doivent pas s'arrêter là... Indifférents aux slogans des débris de l’extrême-gauche, cette nouvelle génération militante se cherche sur fond de cessation de paiement du libéralisme.