Pourquoi réarmer

Longtemps oubliée la "grande muette" bavarde tous les soirs à 20h

La guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène la question militaire. Au moment d’aider les Ukrainiens presque tous les Européens se sont trouvés « à poils » pour reprendre le mot du chef d’état-major allemand. Même tonalité en France où peu de matériel était disponible pour aider Kiev (la France possède moins de 100 canons Caesar !). Or, depuis 2015 au moins la question du niveau du budget de la défense se pose.

Réarmer donc mais pour faire quoi ? Et surtout comment ? Ignorée pour ne pas dire méprisée depuis l’indépendance de l’Algérie ou la fin du « service national » (1996) la grande muette ne cesse de bavarder sur les plateaux-télés depuis que Poutine angoisse toute l’Europe, or, rien n’est plus politique qu’une armée. Surtout en France où la République est née en 1792 avec la levée en masse…

I) L’armée française aujourd’hui : un long déclin ?

Le bel âge des budgets militaires c’était à l’époque du général de Gaulle quand l’armée défaite en Indochine et en Algérie se modernisait et investissait dans l’arme atomique (acquise en 1960). A cette époque c’est pas moins de 5 % du PIB qui est consacré à la Défense. Par la suite ça décline jusqu’à un point bas vers 2000 avec 1,5 % du PIB consacré aux armées. Le résultat est connu : sous-équipement et donc vulnérabilité en « opérations extérieures », par exemple en Afghanistan où l’armée française perd 90 soldats au service des USA. Plus tard, en 2013, au Mali seule l’armée française veut et peut intervenir pour éviter le basculement du pays dans le chaos islamiste. Techniquement victorieuse la France doit néanmoins quitter le pays sous le poids des contradictions d’un pays en plein éclatement. Cette intervention au Mali résume bien les limites futures de la remilitarisation : l’armée est faite pour gagner des batailles, pas pour faire la police dans les ex colonies ou régler un problème politique… Quand à la fin du service militaire il éloigne encore les citoyens ordinaires de l’armée qui passait encore il y a peu pour un gouffre financier inutile.

L'intervention au Mali résume bien les limites futures de la remilitarisation

Le sous-financement et le coût de la branche nucléaire (qui au quotidien ne sert à « rien ») fait que l’armée française est largement en retard, mais en retard par rapport à qui ? Aux seuls « grands » car en Europe c’est la plus importante armée avec celle du Royaume-Uni. Le budget militaire russe n’est "que" deux fois supérieur à celui de la France (60 milliards contre 30 dans l’Hexagone). En voulant exister dans tous les domaines (des océans à l’espace en passant par les forces spéciales ou le cyberespace…) l’armée n’a plus les moyens de ses ambitions et une large partie du matériel ancien est en « maintenance » (200 chars fonctionnels sur 400) ou dépassée au niveau des nouveaux outils (drones).

En 2025 le budget de la Défense devrait atteindre 50 milliards d’euro, une hausse de 66 %

On connaît les différends entre Macron et de Villiers (2017) sur la question du budget. Or, il en a résulté -après l’effort nécessaire pour liquider Daesh-, une volonté d’augmenter les budgets militaires. En 2025 le budget de la Défense devrait atteindre 50 milliards d’euro contre 30 en 2015, soit une hausse de 66 % qui pose questions : quel modèle d’armée veut-on ? Avec quelles armes ? Au bénéfice de quelles industries ? Quels territoires ?

La relation avec les alliés et autres partenaires pose aussi question : avec l’OTAN comment agir avec d’autres armées dans le cadre de missions ou même de conflits ? La France a réintégré complètement l’OTAN sous Sarkozy, les USA ont techniquement rendu possible la guerre contre la Libye (2011) qui fut un succès technique mais avant tout un fiasco politique… Or la guerre en Ukraine montre que la France n’est plus capable d’avoir une autonomie vis-à-vis du parrain états-unien. Avec une industrie de défense indépendante et vendeuse d’armes la France est parasitée par l’alliance Atlantique : les Allemands préfèrent régulièrement le matériel us aux armes made by France. Le programme d’avion de défense « européen » SCAF (franco-allemand) n’est pas encore pris au sérieux du fait précisément de cette position ambivalente de la France à la fois dans l’OTAN et jadis indépendante en choix et en matériel. L’Europe, sous parapluie états-unien, sera-t-elle toujours toujours un nain géopolitique car liée aux USA ? La guerre d’agression de l’Irak par les mêmes USA en 2003 a montré que l’Europe n’existait pas encore dans la mesure où toutes les positions, mêmes les plus contradictoires, s’exprimèrent…

II) L’armée de demain sera-t-elle celle d’hier ?

Finie la "grande muette" ?

Subitement bavards depuis février 2022 les hauts gradés français officiellement « à la retraite » mais encore dans le business (comme les généraux Trinquant et Clermont) ne cessent de le répéter : leur armée idéale est celle des USA (en moins grand) ! Pour les militaires la hausse des budgets doit bénéficier à l’ensemble des branches et donc décupler les forces françaises dans tous les domaines. Or, ce modèle espéré et passé est d’abord celui d’une armée de projection dans la suite de l'histoire coloniale. La « guerre idéale » des militaires français fut celle des années 80 quand la France seule intervenait au Tchad contre la Libye avec des moyens de renseignements, aériens, blindés et d’infanterie sans aucune aide ni aucun échec sur place (opérations Épervier et Manta). Or ce type d’opération est-elle souhaitable au XXI°s dans un monde ou une Afrique aussi mondialisé que décolonisé ? Une armée modernisée ne serait-elle pas plutôt mieux employée à défendre le territoire et les Français plutôt qu’intervenir dans l’ex empire colonial là où, précisément, la mondialisation a complètement bouleversé le terrain ? L’intervention au Mali, même voulue par certains maliens, est l’archétype de ce qu’il ne faut surtout plus faire. Rappelons que la guerre de 14-18 a été précédée par de multiples incidents entre Européens non sur le vieux continent mais dans les empires coloniaux !

Les militaires veulent « gagner la guerre avant de la faire »

Les conflits d’aujourd’hui et de demain sont plutôt décisifs dans les nouvelles technologies et l’exploitation de renseignements numériques, satellitaires ou humains. Les mêmes militaires veulent « gagner la guerre avant de la faire » du fait d’une supériorité sans appel. Est-ce un nouveau mythe dans le style "zéro mort" des années 90 ?

V. Desportes lucide

L’une des leçons de la guerre russo-ukrainienne est qu'une armée de qualité tient en échec une armée de quantité. Si la Chine et les USA devaient s’affronter d’une manière ou d’une autre la France serait bien inspirée de rester à l’écart, or l’OTAN la lie aux USA et cette organisation atlantico-européenne a piloté des interventions lointaines (Afghanistan). Dans les médias seul le général Vincent Desportes critique le lien entre l’OTAN et la France ou constate que l’élargissement de l’OTAN a été l’un des moteurs de la guerre actuelle. Beaucoup d’autres sont liés à l’Organisation et « oublient » qu’après 1991 l’OTAN s’est, sans raison autre que se rapprocher de la Russie, élargi à l’est.

Reste aussi à savoir comment va être financé la hausse rapide des budgets. Avec une volonté de réduire les impôts, épargner les entreprises et investir dans le grand âge ou la Santé quels choix vont permettre de dégager ces milliards ? L’Éducation ? Le premier budget français sera-t-il sacrifié ? A moins que certaines écoles militaires s’occupent de certains élèves. Des partenariats existent déjà.

Dans le cadre de relocalisations d’entreprises stratégiques la filière de l’armement va-t-elle recréer des emplois ? Et si oui où ? Mais avec quelles formations ? Comme la filière nucléaire les industries concernées ont longtemps été négligées.

De plus, à l’aube de son renouvellement et de son refinancement les conditions de vie des militaires font aussi débat. Le militaire français le reste moins de 7 ans du fait des départs, des exclusions mais aussi des régulières mutations qui déstabilisent les familles. La liberté d'association n'existe pas. Le classique papa officier et maman au foyer n’est plus en phase avec la France du XXI°s. De plus certaines affaires de bizutages et autres problèmes récurrents (toxicomanies, extrémismes, surreprésentation des élites traditionnelles dans le corps des officiers...) n’aident pas à la crédibilité d’une armée sensée relever les défis d’aujourd’hui et de demain.

La fin de l'antimilitarisme ?

Après avoir été moquée puis ignorée l’Armée semble redevenir un miroir positif de la France. Or, non discutée et non clarifiée, la remilitarisation ne résoudra aucun problème ancien de la Grande Muette. Place dans l’OTAN, coût, fonctionnement... La Défense est une question trop importante pour être laissée aux seuls officiers. A quand un vrai débat sur ces questions ?