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Caricatures du prophète : la conjuration des imbéciles
Mars 2006
Caricatures du prophète :
La conjuration des imbéciles
par Terouga
Dans l’affaire des caricatures, pourquoi la colère de certains musulmans ne s’est-elle pas faite connaître plus tôt ? Et pourquoi une telle ampleur ?
En effet, c’est au mois de septembre qu’un quotidien danois a publié des caricatures du prophète de l’Islam. Son but était de défendre la liberté d’expression et aussi de rompre le climat délétère autour de cette religion[1]. En tout cas, depuis plus d’une semaine et surtout depuis que s’est enclenché une sorte de surenchère en Occident et dans les pays musulmans, la violence verbale et parfois physique se déchaîne. A qui profite ce gonflement médiatico-politique ?
Reste que ce prétendu épisode du « choc des civilisations » n’a pas éclaté dans un ciel serein. Guerre en Irak, occupation de la Palestine, pressions sur la Syrie et l’Iran… Et si cette vague de protestation n’était qu’une riposte aux pressions impérialistes de l’Occident dans la région ?
Seulement, cette hypothèse serait incomplète puisqu’elle négligerait la spécificité de l’idéologie islamiste qui, au détour de cette nouvelle affaire, tente de décupler ou plus exactement de créer un clivage entre les peuples musulmans et les autres…
1. Un complot islamophobe ?
Force est de constater que depuis le 11 septembre 2001 l’image de l’Islam n’a cessé de se dégrader dans les pays développés. Mais cette détérioration n’était qu’un nouvel épisode du long pourrissement de l’image de l’Islam d’Occident. Sans remonter aux guerres coloniales, la brusque montée du chômage et la délinquance dans les années 80 a touché les populations immigrés (essentiellement des Turcs et des Maghrébins). De plus, l’arrivée à l’âge adulte des enfants du regroupement familial a montré une intégration majoritaire mais aussi à la marge une inflation de comportements jugés antisociaux et antirépublicains par la masse des Européens « de souche ». Affaire de voile, polygamie, crimes « d’honneur », provocations antisémites, mariages forcés, etc. si les media ont mis en exergue et parfois même exagérer ces affaires réelles (car on parle toujours davantage des « trains qui n’arrivent pas à l’heure »), il faut bien reconnaître que des réseaux islamistes se sont implantés partiellement mais réellement dans une minorité des musulmans d’Europe. En France ces réseaux ont eu la partie moins facile qu’ailleurs. En effet le modèle républicain et la politique de ministres comme C. Pasqua ou JP Chevènement a su frapper quand c’était nécessaire. Mais en Grande-Bretagne, en Hollande ou même au Danemark, au nom du communautarisme d’Etat de ces sociétés, les musulmans les plus conservateurs voire les réseaux terroristes n’ont guère peiné à prospérer à l’ombre du reste des musulmans.
Dès lors, après les attentats du 11 septembre, certaines forces politiques jadis très favorables aux communautarisme et différencialisme se sont brutalement retourné contre leurs anciens protégés. La ligne éditoriale de certains grands hebdomadaires français a épousé ce virage en amalgamant islam et terrorisme, oubliant un peu vite qu’ils avaient été jadis très tolérants au nom de la « lutte contre le racisme du Front National ».
Les Musulmans étant inassimilables, violents et antisociaux, il devenait tentant pour ces media et ceux qui les possèdent de chercher sans arrêt des preuves de ce « problème islamique ».
Agitation (et acharnement médiatique) autour des affaires de voile, amalgame douteux entre islam et émeutes de la fin de l’année 2005, affaires sordides de type « tournante », crime d’honneur, etc. Le quotidien danois n’était pas le premier à présenter une réalité partielle et partiale de l’islam… Ne dit-on pas que pour tuer son chien on dit qu’il a la rage ?
Si il n’existe pas à proprement parler de « complot islamophobe » contre la religion fondée par Mahomet, force est de constater que dans les élites occidentales, certains réseaux se sont rallié à la thèse de S. Huntington de « choc des civilisations[2] », thèse qui a servi de support théorique au nouvel impérialisme américain au Proche-Orient après la fin de la guerre froide. Sans cette nouvelle islamophobie (renforcé par les habituels thuriféraires du sionisme), il n’y aurait pas eu ces violences, mais dans les pays musulmans, certains ont profité de la prétendue offense faite à Mahomet pour développer le même discours que les islamophobes occidentaux à savoir que le monde islamique et le monde occidental sont des ennemis par nature hier comme demain.
2. Sincère colère musulmane ?
En Occident la liberté d’expression est vieille de plus d’un siècle. Avec des hauts et des bas, elle s’est définitivement imposée dans le courant du XXe siècle et fait partie du paysage politique, intellectuel et moral des tous les pays développés. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi et l’Eglise tenta jusqu’à ces dernières années d’influencer le législateur. Rappelons simplement le scandale que provoqua le film « la dernière tentation du Christ » qui déboucha sur l’incendie d’un cinéma parisien… Néanmoins, on peut très facilement ridiculiser les dogmes chrétiens ou se moquer du « saint père »… Cette liberté n’est pas négociable, et fait l’unanimité en Occident, mais elle est liée à un niveau de développement et à des mœurs politiques en grande partie inconnues dans le monde musulman.
Si certaines sociétés islamiques s’entrouvrent à la pluralité d’expression, cela ne se fait jamais dans la sérénité et le contexte (pauvreté, corruption, islamismes, régimes autoritaires…) soumet les musulmans à de rudes et contradictoires pressions. Le « modèle » occidental fascine. Efficacité économique, développement social, innovation technologique… Les media occidentaux véhiculent les symboles de l’Occident mais ce que les télévisions par satellites ne précisent pas et ce que les peuples musulmans ne réalisent pas réellement c’est le « coût » sociétal de cette apparente réussite. Si l’Occident est un modèle pour les pays en voie de développement, ce n’est pas tant parce qu’il est occidental ou chrétien, mais simplement parce qu’il irradie le monde de ses produits plus modernes, plus attirants et plus vendeurs. La force de l’Occident vient avant tout de ses armées et de son commerce. La rue arabe juxtapose donc des vêtements américains et des tenues traditionnelles dans la plus parfaite confusion…
Le succès occidental a résulté d’une vieille industrialisation et a entraîné dans les sociétés occidentales une dissolution des valeurs issues du monde rural. En Occident la famille, les solidarités entre génération, la religion, la morale ne sont plus des boussoles dans l’existence. Le « jeunisme », le mépris des anciens, l’indifférence religieuse sont généralisés[3], et les Musulmans d’Egypte, du Maghreb ou d’Indonésie ne comprennent pas cette réalité. Si les princes saoudiens achètent jets privés, 4X4 climatisées et de l’art contemporain, ils n’acceptent pas la société qui va avec. C’est cette situation paradoxale qui rend l’islamisme parfois « sympathique » aux yeux des Musulmans. Sans comprendre ni partager l’idéologie des différents courants de l’islamisme contemporain (wahhabisme, salafisme, Frères Musulmans…) les masses musulmanes sentent bien qu’elles renforceraient encore plus la domination écrasante de l’Occident si elles acceptaient de se « moderniser[4] » sans pour autant récolter les fruits du développement et encore moins réduire la pression politique des Etats-Unis en Irak[5] comme ailleurs… La colère de la rue musulmane résulte donc de ce vieux malentendu entre société occidentale ouverte et libérale et consensus islamo-social qui sert de cadre à une résistance au néo-colonialisme mondialiste. L’inflation islamophobe qui se développe en Occident rencontre donc le cocktail explosif qui agite la majorité des pays musulmans dont les grandes villes sont peuplées de foules misérables prisonnières de préjugés ruraux et de conditions de vie déplorables[6].
Reste que ce n’est pas l’ensemble du monde musulman qui s’est soulevé. Contrairement à ce que suggère les télévisions seules certaines villes ont vue des actes violents se dérouler. Où précisément ? Là où les pouvoirs politiques sont en porte-à-faux.
Premièrement à Gaza des groupes ont manifesté violement contre les bâtiments de l’Union Européenne puis devant les représentations diplomatiques du Danemark et de Norvège. Qui a animé ces manifestations ? Alors que le Hamas est resté quasiment silencieux[7], le Djihad Islamique et des groupes liés aux Brigades des Martyrs d’Al Aqsa étaient au premier plan de ces violences. Il n’y a pas de hasard : ces deux organisations sont les grandes perdantes des dernières élections palestiniennes : la première n’a pas été suivie dans son appel au boycott et la seconde a été ridiculisé par le score du Fatah[8].
En Syrie des manifestants ont incendié les ambassades danoise et norvégienne. Or, à Damas, nul ne peut manifester et se rassembler sans la tolérance ou la complicité des agents du pouvoir. Laisser la pression monter contre des pays occidentaux peut avoir deux avantages pour les dirigeants syriens : se poser en alternative au chaos islamiste et aussi riposter aux pressions internationales dans le dossier libanais. En Iran (où le chiisme n’interdit pas la représentation de Mahomet) le pouvoir cherche dans cette affaire à riposter aux pressions sur son programme nucléaire. Au Liban aussi des violences inattendues ont touché les symboles de l’Occident. Faut-il y voir la main de Damas qui ferait ainsi diversion ? C’est en tout cas la thèse de Saad Hariri.
Même constat en Irak, Afghanistan et en Indonésie où la situation est tellement tendue que le moindre prétexte est exploité pour se révolter.
À Londres et à Paris de modestes (et calmes) manifestations de musulmans ont eu lieu. Elles répondent à la volonté des réseaux intégristes de créer et développer de toute pièces des différences et des haines entre les citoyens de différentes religions.
Les musulmans sont donc libres de désapprouver les caricatures de leur prophète, ils sont libres d’être en colère, tout comme les dessinateurs sont libres de caricaturer qui ils veulent quand ils veulent. Mais les organisateurs passifs ou actifs des manifestations violentes, qui ont eu lieu brusquement des mois après la publication des dessins, ne sont pas suspects de la même sincérité. Islamistes adeptes eux aussi du « choc des civilisations » ou dirigeants arabes désireux de faire diversion dans leur population, tous instrumentalisent la religion au profit de leurs ambitions politiques locales ou régionales, tout comme certains politiciens français utilisent « l’islamisation de la société » pour exploiter la peur des « honnêtes gens » scandalisés devant leur téléviseurs…
3. Échapper au « choc des civilisations »
Le seul danger de ce scandale, comme de ceux qui l’ont précédé est celui-là : monter les peuples les uns contre les autres. Et justifier ainsi les pires discours et les plus détestables violences. Dans un contexte où le monde arabo-musulman subit la mondialisation marchande, des interventions militaires et ne sait comment sortir du sous-développement, il est suicidaire que l’Occident, déjà perçu comme impérialiste et arrogant se laisse aller à une islamophobie généralisée. La civilisation arabo-musulmane mérite mieux que le mépris de quelques intellectuels de salon.
À l’inverse, la colère de certains musulmans et surtout l’exploitation politique par certains réseaux anti-démocratiques ne peut que décupler une méfiance et un rejet des Musulmans d’Europe déjà plus touchés que les autres par le chômage et les difficultés sociales. Or les peuples d’Europe sont las des incidents à répétition intégrant à un moment ou à un autre une dimension « islamique » ou « migratoire » (éléments associés dans l’imaginaire collectif).
En effet, les extrémistes des deux camps ne peuvent qu’applaudir à la culpabilité collective des Danois et à l’amalgame entre musulmans et manifestants violents.
L’idée de « choc des civilisations » et ceux qui utilisent la dernière affaire comme preuve de cette opposition indépassable entre Occident et Orient, en Europe, en Israël ou ailleurs dans le monde ne peut que nous précipiter vers un nouveau âge des croisades et autres guerres saintes inutilement meurtrières et exclusivement bénéficiaires aux partis de la guerre…
[1] Notamment après l’assassinat de Théo Van Gogh en novembre 2004 en Hollande
[2] « le choc des civilisations » a été publié n 1993, rappelons que S. Huntington fut expert en contre -insurrection à l’époque de la guerre du Vietnam
[3] avec les dérives connues : pornographie, délinquance des jeunes, libéralisme, communautarisme, etc.
[4] en clair se désislamiser
[5] à noter que l’homme politique le plus « moderne » est I. Allaoui, le plus proche partisan des occupants américains
[6] Au Caire, même les classes moyennes vivent dans les bidonvilles souffrant de coupures d’eau et d’électricité
[7] appuyant vaguement un boycott des produits danois
[8] les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa passent pour être le bras armé du Fatah
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021