Nov. 2013, texte de Denis GORTEAU
L'histoire récente de l'Irak n'est plus à faire. Chacun connaît les causes et les conséquences de l'invasion illégale de 2003. Plus de 10 ans après le renversement de S. Hussein le quotidien de l'Irak n'est qu'une plaie sanglante. Le pays reste en état de guerre civile depuis 2006 avec de courtes périodes de relatif répit. La guerre en Syrie n'a fait que réveiller des antagonismes latents.
Dans une région secouée par les ingérences et l'activisme généralisé des réseaux terroristes, on peut se demander si l'occupation puis l'instauration d'un nouveau gouvernement tyrannique n'a pas enterré l'idée même d'un Etat irakien...
Rappelons que pour le seul mois de septembre 2013 1 000 personnes sont mortes suite à des violences politiques. Et une nouvelle évaluation estime à 500 000 morts le bilan de l'occupation entre 2003 et 2011 (lien)...
L'Irak, une création britannique...
Une structure étatique récente
L'Irak dans ses frontières internationales est une construction récente. Avant la première guerre mondiale le pays n'est qu'une région de plus dans l'empire ottoman, la proximité avec le monde perse et les menées britanniques dans la péninsule arabique font de la région une zone stratégique, une des zones les plus convoitée du XX°s.
La fin de l'empire ottoman laisse Paris et Londres se partager territoires, clientèles et prébendes pétroliers. Les célèbres accords Sykes-Picot (1916) font échoir la zone irakienne aux Britanniques qui fabriquent ce pays comme ils créent la Jordanie. Dès cette époque le pays agglomère autour d'une monachie fantoche des peuples en contact mais nullement disposés à faire "nation" : chiites partiellement persophones à l'est, sunnites à l'est, groupes kurdes au nord... Le pays reste menacé d'implosion. Les Sunnites monopolisent presque entièrement le pouvoir autour de la monarchie et de ses tuteurs britanniques.
C'est cette tutelle néo-coloniale qui va révolter et associer les nationalistes irakiens de diverses origines.
Le nationalisme arabe, ciment d'une nation en construction
le général Kassem
La révolution de 1958 renverse le régime pro-britannique et lance l'Irak dans l'aventure du nationalisme arabe. Divisés et en lutte les uns contre les autres les nationalistes arabes vont tout de même donner un sens à la nation irakienne : celui de la construction moderne d'une nation à développer. C'est le sens des régimes qui vont se succéder jusqu'à S. Hussein. La priorité n'est plus la confession ou le passé mais bien le devenir, les progrès sociaux par et pour l'indépendance nationale. Le pétrole est sensé financer ce bond en avant !
Mais les forces centrifuges vont ruiner cet idéal. S. Hussein partira en guerre contre ces forces qui menacent l'unité du pays : l'Iran, les séparatistes kurdes ou encore ses opposants. Avec le temps le régime se durcit et multiplie les références islamiques, nouvel habit des élites sunnites toujours aux affaires depuis la création du pays.
A la veille de l'invasion de 2003, le régime n'est plus que le reflet des élites sunnites à l'exclusion à peu près complète des autres composantes de la société. Nullement anti-chrétien, S. Hussein utilise cette minorité pour faire bloc face à la majorité chiite toujours soupçonnée de jouer le jeu de l'Iran... Le "gouvernement" irakien actuel issu de l'occupation lui donne partiellement raison.
Depuis 2003 : le grand morcellement
Livre de D. Gorteau qui annonce le morcellement du pays
Or la réalité de l'occupation et la situation actuelle semble concrétiser un éclatement de fait sinon de droit du pays.
La zone nord, largement kurdophone, est séparée de Bagdad depuis 1991 ! Une large autonomie est effective depuis la première intervention occidentale pour "libérer" le Koweït. De fait les partis kurdes sont maîtres chez eux. Périodiquement ils imposent même leurs colons dans des zones de peuplement mixtes. Cela au détriment des Turcomans et des Arabes. Ils ont signé de contrats pétroliers au grand dam de Bagdad !
De plus, l'émergence d'un Kurdistan autonome dans le nord-est de la Syrie renforce cette situation. Même évolution en Turquie où un accord entre Ankara et le PKK renforce encore l'émergence d'une entité kurde.
A l'est de l'Irak les anciennes élites sunnites restent à la fois marginalisées par le régime de Bagdad mais aussi travaillées par les réseaux terroristes. Baas clandestin, chefs tribaux ou réseaux djihadistes végètent et règnent sur un résidu d'autorité. Les conflits entre eux ne sont pas rares. Les violences sectaires entre Sunnites et Chiites ont ravagé le pays et pour le moment profondément divisé le pays. Par exemple Bagdad est une ville de plus en plus chiite où les quartiers mixtes ont presque disparu...
A lire de G. Munier
Mais où est passée la réistance irakienne ?
Le reste du pays (centre et sud) est dominé par les partis politiques se référant au chiisme. Maliki n'est pas le seul dans cette catégorie. Il y a plus "iranien" que lui mais certains chiites sont plus autonomes de Téhéran comme M. al-Sadr. Leurs disputes et leur conflit politiques ne sont pas rares sur fond de gestion des puits de pétrole. Ces derniers sont aux mains des Kurdes au nord et confiés aux Chinois ailleurs. Les réseaux états-uniens, sont finalement en marge dans un Proche-Orient qu'Obama redoute. Les élites us comptent sur le pétrole de schiste pour définitivement se passer du brut arabe...
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La guerre en Syrie (opposant djihadistes armés à un pouvoir minoritaire) n'a fait que réveiller la guerre civile irakienne superficiellement en sommeil. Les mêmes réseaux financés par l'Arabie Saoudite arment des jeunes exclus et font des attentats dans les villes du pouvoir (Damas, Bagdad). La nation moderne revendiquée par les nationalistes arabes des années 70 est une illusion perdue. Un rêve devenu cauchemar islamiste où un passé mythifié devient la norme et le voisin un Autre suspect sinon un coupable !