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Les nouveaux anciens maîtres de Kaboul pourront-ils et voudront-ils faire mieux que lors de leur première expérience au pouvoir ?
Droits humains, économie, géopolitique et terrorisme ne sont pas des questions simples pour les Taliban victorieux. Peut-être leur victoire sera-t-elle à la Pyrrhus alors que le pays reste sous-développé, enclavé et au centre de rivalités impériales anciennes et impérialistes nouvelles.
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des Barbus de sinistre réputation...
Depuis le 15 août 2021 les Taliban sont de retour au pouvoir en Afghanistan ! Une vraie fausse surprise depuis un accord public entre Washington et le mouvement islamo-ethnique de 2020 signé à Doha. Face à une armée « nationale » afghane impuissante et en grande partie ralliée les islamistes ont été vite en besogne, presque surpris par leur avancée. Ils ont même passivement facilité l’évacuation des « amis » des Occidentaux (plus de 100 000 départs en quelques jours) qu’ils visaient quelques jours auparavant. Ces derniers avaient en effet de quoi redouter le retour des Barbus de sinistre réputation. Leur gestion du pays de 1996 à 2001 aura été un long calvaire pour un pays oublié de la communauté internationale après le retrait soviétique de 1989 et la guerre civile qui suivit la chute des amis de Moscou en 1992… Incapables de faire autre chose qu’utiliser massivement la violence la plus aveugle les Taliban d’alors se comportèrent comme une secte influencée par le mentor pakistanais ou à la remorque de Ben Laden et sa milice. Sans projet politique réel et vite en porte-à-faux entre les offres américaines (pour le passage d’un gazoduc) et l’aide à tous les terroristes islamistes du monde ils survirèrent dans un pays ruiné et affamé… Le séisme du 11 septembre les fire repartir dans la clandestinité, les poubelles de l’histoire n’étaient alors pas loin.
L'Express, 2001
Seule la corruption, l’inefficacité et la violence de l’occupation occidentale leur donnèrent une seconde chance alors que les « amis » des États-Unis firent preuve d’une incompétence proportionnelle à leur corruption. Très vite le pays fut mis en coupe réglée par des seigneurs de guerre maîtres de tous les trafics à commencer par celui de la drogue. Éradiquée par les Taliban avant 2001 la culture du pavot a littéralement explosé à l’ombre des fusils us, une réalité qui a tué plus d’Américains aux USA par overdoses qu’en Afghanistan...
les Taliban ont remplis le vide laissé par l’inefficacité de leurs successeurs
Vite maîtres de campagnes misérables depuis toujours négligées par les villes les Taliban ont remplis le vide laissé par l’inefficacité de leurs successeurs. Continuant la guerre en visant à la fois l’armée « nationale » et les nouvelles élites les Taliban ont gagné à l’usure alors que l’Occident se ruinait : le coût de la « guerre contre le terrorisme » avoisinerait les 1 000 milliards de dollars soit plus de 100 millions par jour depuis septembre 2001 ! Une manne inédite qui a peu aidé les Afghans ordinaires plus aptes à émigrer qu’à reconstruire un pays soumis à de lourdes contraintes. Cela rappelle le Vietnam où une minorité armée violente incarna une forme de fierté et de résistance ethno-nationale face à des envahisseurs incultes, violents et corrupteurs...
Préférant gérer un pays en paix qu’un pays en guerre les Taliban semblent hésiter depuis leur victoire...
Taliban et Chinois négocient
Afghans et Occidentaux sont presque surpris par leur modération formelle et par la démilitarisation spontanée du pays. Seuls les vainqueurs sont armés désormais et non plus mille et une milices incontrôlables. La « résistance » dans la vallée du Panshir n’a pas duré. Ailleurs leurs opposants se cachent et quasiment aucun n’a été abattu, jusqu’à quand ? Nuancés en apparence sur les droits des femmes les écoles pour filles restent pourtant fermées... Seule violence spectaculaire ? La pendaison de kidnappeurs à Herat « sous les vivats de la population » dit une source locale.
la milice islamiste est avant tout l’émanation de la majorité pachtoune
Il faut dire que les chefs islamistes savent leur bilan calamiteux de 96 à 2001 : la relative sécurité instaurée rimait plus avec famine qu’avec âge d’or ! Leur voisinage avec al Qaïda était contradictoire avec leur volonté de stabiliser le pays. En 2001 les Américains avaient facilement recruté les « minorités » contre les Barbus : Tadjiks, Ouzdeks et Hazaras furent de faciles supplétifs alors que la majorité pachtoune était marginalisée avec le départ de leurs anciens maîtres, une erreur dans un pays toujours tribal. Car la milice islamiste est avant tout l’émanation de la majorité pachtoune qui veut logiquement rester aux affaires. A l’ombre du Pakistan qui a toujours été derrière la milice les guerres d’Afghanistan ont d’abord été l’histoire d’une ethnie montagnarde rétive à toute invasion qu’elle soit britannique au XIX°s, soviétique au XX° ou américaine après 2001, l’idéologie islamiste féroce des Taliban cache mal un fonctionnement ethno-tribal qui explique le caractère encore inabouti de la « nation » afghane. Les lourdes contraintes géographiques (enclavement, relief, climat…) achevant de verrouiller un pays structurellement fragile. La violence et la tyrannie obscurantistes sont parfois un carburant efficace mais jamais un moteur performant...
en Russie comme en Chine on voit le départ des USA
comme une victoire stratégique
Le voisinage immédiat du pays peut aussi expliquer l’attentisme des Taliban : en Russie comme en Chine on voit le départ des USA comme une victoire stratégique. Depuis des années les deux voisins négocient avec les Taliban un voisinage acceptable en échange de non ingérence réciproque : pour Moscou et Pékin il s’agit d’empêcher toute aide aux mouvements islamistes régionaux, en échange la Chine est prête à investir dans les infrastructures pour acheminer d’éventuelles matières premières. Un deal « africain » qui peut intéresser des Taliban qui n’ont aucun moyen d’investir. Signe de cette détente : les ambassades russe et chinoise restent ouvertes. Du côté de Téhéran même analyse : le départ piteux des USA est perçu positivement alors que les Taliban ont octroyé un ministère à un membre de la communauté hazara, une minorité chiite jadis persécutée par les mêmes Taliban et autres sunnites comme le commandant Massoud jadis… Avec le Pakistan aucun problème Islamabad a toujours été le tuteur sinon le maître des pachtounes afghans.
Aussi islamistes que nationalistes les Taliban sont donc face aux défis d’un pays pacifié mais acculé par des contraintes que leur idéologie ne changera guère : la fuite des cerveaux est une fragilité évidente pour tout pays qui veut se reconstruire, les contraintes physiques ne sont pas de nature à faciliter les échanges et l’économie saignée fait risquer la famine à un pays où 95 % de la population est en passe de manquer de nourriture. De bonnes relations avec l’ONU ou les ONG sont donc littéralement vitales alors que toute la région souffre des effets du réchauffement climatique. Rappelons que la natalité reste forte (4-5 enfants par femme) et que ces 20 dernières années la population afghane a augmenté de 17 millions de personnes soit une hausse de... 80 % ! Le pays manque plus de ciment et d’ingénieurs que de maçons ! La première violence dont souffre les Afghans et Afghanes est donc bien la pauvreté et l’arriération des zones rurales complètement abandonnées par l’État actuel ou passé.
depuis 2001 la population a augmenté de... 80 % !
Au niveau international les Taliban ont déclaré vouloir garder des contacts normaux avec les USA et les autres puissances ex occupantes. Une nécessité si les maîtres de Kaboul ne veulent pas recevoir à nouveaux des tapis de bombes plus ou moins précises… Par ailleurs, toujours en accord avec leurs anciens adversaires, les Taliban sont les seuls à lutter au sol et pour anéantir la branche locale de Daesh qui a visé autant l’armée us que les Taliban lors du chaotique retrait…
Dernière fragilité : la drogue. Seule « richesse » du pays elle a complètement divisé et discrédité les gouvernements passés… Ayant goûté aux délices du trafic international et de son cash (1 milliard de dollars par an) les Taliban pourraient bien se diviser localement ou au sommet pour gérer le magot alors que la génération fondatrice du mouvement est sur le déclin.