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La Corée du sud
Séoul, quartier de Gangnam...
Exemple abouti de pays ayant quitté les affres du sous-développement, la Corée du sud fait souvent parler d’elle comme d’un pays post-moderne : informatique, multinationales, production culturelle font le tour du monde en donnant l’image d’un pays hissé au rang du voisin japonais ou même de l’Occident développé.
Toujours tenu par l’alliance avec les Etats-Unis et ombragée par l’inénarrable Corée du Nord la République de Corée n’en demeure pas moins un exemple de pays complètement arriéré en 1945 et ruiné en 1953 qui s’est hissé au sommet du développement. Mais à quel prix ? Et avec quelles perspectives ?
40 ans de dictature !
massacre pendant la guerre de Corée
En 1945 le sud de la péninsule coréenne est un espace complètement ruiné par la guerre et surtout envahi par des millions de réfugiés fuyant qui le Japon, qui le Nord du pays, qui l’Asie où Tokyo avait des travailleurs forcés.
Même l’aide américaine ne suffit pas à nourrir la population qui subit plus qu’elle ne soutient un gouvernement provisoire dirigé par un vieux politicien, Sygman Rhee. Très vite les forces conservatrices liées aux colonisateurs japonais vont refuser tout progrès des idées communistes. Or la base de la population, misérable et encore meurtrie par la colonisation, va refuser cette main mise des conservateurs : émeutes, manifestations et grèves vont éclater surtout dans certaines régions qui seront toujours rebelles au pouvoir de Séoul.
Sygman Rhee impose une dictature anti-communiste
Fort du soutien us au moment où la guerre froide débute et appuyé par des milices violentes Sygman Rhee va imposer un pouvoir fort. Bien des sud-coréens fuient alors au Nord où les communistes jouissent d’une situation moins défavorable : la zone est relativement industrielle et il y a moins de désordre. Des grandes réformes sociales rassurent la population et font apparaître la jeune RDPC comme une zone libérée du colonialisme et du féodalisme.
La guerre de Corée (1950-53) est débutée à l’initiative du Nord qui souhaite abattre le régime "fantoche" du sud. Il s’en faut de peu pour que la guerre soit gagnée, les troupes du sud étant incapables de résister aux forces du nord parfois même soutenues par la population. Seule l’intervention massive des Etats-Unis et de leurs alliés inverse le rapport de force.
toute l’opposition a été soit anéantie soit a fuit au nord
Il en résulte une guerre de 3 ans qui ravage le pays dans des proportions inouïes. Surtout, la dictature de Rhee en sort renforcée. En effet, toute l’opposition a été soit anéantie soit a fuit au nord. Dès lors la Corée du sud, toujours aussi misérable et incapable de se nourrir, plonge dans la tyrannie la plus crue. Jouant sur l’anticommunisme, le vieux dictateur devient une caricature de despote corrompu et violent. Des milliers de suspects sont arrêtés illégalement, enfermés, abattus par les puissants services secrets (la sinistre KCIA) ou même par des nervis du régime sans foi ni loi.
Une série d’émeutes inédites chasse finalement l’indigne vieillard en 1960. Il fuit en exil à Hawaï, non sans avoir vidé les caisses du pays ! Rien de moins.
Deux années de « désordres démocratiques » suivent. Mais le pays, déjà fragile économiquement, y perd en crédibilité. Les forces conservatrices finissent par imposer de nouveau leur homme ce sera Park Chung-hee qui règnera de 1962 à 1979.
Cette présidence fera toujours apparaître la Corée du sud comme une dictature digne de celles de la guerre froide, c’est à dire avec une démocratie de pacotille mais surtout une coterie d’intérêts liés aux Etats-Unis près à tout pour rester aux affaires. Néanmoins des réseaux d’opposants parviennent plus ou moins à survivre et à incarner un autre idéal politique. Souvent persécutés, assassinés ou déportés, ces démocrates libéraux sans liens avec les communistes du nord, vont péniblement et douloureusement s’incruster dans l’opinion voir aux Etats-Unis où certains critiquent le soutien aveugle à une tyrannie abjecte. Il n’en demeure pas moins que toute opposition est assimilée à la Corée du Nord et impitoyablement réprimée dès qu’elle sort de son rôle de figurante.
Mais Park incarne aussi les débuts du « miracle » économique. A l’imitation du Japon, la Corée du sud protège son marché intérieur et surtout bénéficie de capitaux états-uniens et japonais. Des entreprises liées au régime, les futurs multinationales mondialement connues (les chaebols), profitent de l’aubaine et exportent assez vite des produits bas de gamme vers l’énorme marché occidental. Il en ressort un lien incestueux entre l’appareil d’Etat et les dynasties capitalistes de ces entreprises appelées à devenir des géants de la mondialisation.
La Corée du sud des années 1960 ressemble au Cambodge actuel
Si il y a miracle économique (le sud dépasse le nord en 1970), c’est à la sueur des travailleurs qu’il est dû. La Corée du sud des années 1960 ressemble au Cambodge actuel, c’est à dire avec une bourgeoisie qui surexploite des millions de travailleurs urbains généralement chassés des campagnes. Hommes et Femmes s’échinent à survivre pour des salaires très faibles, mais l’amorce d’un développement est tout de même là et posera vite la question sociale au régime.
A la surprise générale c’est le chef de la KCIA qui tue d’une balle dans la tête Park ! On ignore toujours les tenants et les aboutissants de cette affaire, mais un autre dictateur bien en cours à Washington le remplace : Chun Doo-hwan. Il règnera jusqu’aux JO de 1988 et prendra en plein face le mouvement social. Celui-ci organisera périodiquement de gigantesques manifestations de protestation contre le régime. Chun répondra par la force voire par des massacres comme en 1980 quand une petite ville insurgée est reprise par l’armée au prix de milliers de morts. L’opposition, de plus en plus crédible, gagne du terrain électoralement malgré les coups tordus des basses polices du régime.
Les classes moyennes émergentes et les étudiants basculent dans une opposition de plus en nette au régime. Aux Etats-Unis on redoute un chaos social fatal au régime. Alors que la Corée du Nord périclite, plus rien ne s’oppose vraiment au passage à une démocratie libérale dans la mesure où aucun opposant ne conteste le capitalisme et sa maîtrise par les Chaebols…
La division de l’opposition permet même en 1988 l’élection d’un énième conservateur, Roh Tae-woo. L’évolution à l’espagnole est pourtant en route et Kim Young-sam, opposant libéral historique, est élu en 1992. La Corée du sud est alors considérée comme un pays développé comme Singapour ou Taiwan. Même la Chine communiste se réforme, les chaebols y investissent d’ailleurs massivement. Hyundai et son fondateur historique prennent même contact avec la Corée du Nord…
Autopsie d’un miracle
Incontestablement la Corée du sud a achevé sa sortie de la pauvreté. Dans les années 50 c’était le pays le plus aidé du monde, à présent c’est le pays qui aide le plus les autres ! Une performance impressionnante qui force le respect d’autant plus que le pays partait de très bas après 1953. Il n’avait pas le passé industriel du Japon comme support ni les ressources de l’URSS pour sortir de l’ornière.
Si la dictature anti-communiste fut un monstre politique, force est de constater que des choix économiques ont été à l’origine du miracle : pour sortir de la misère le pays s’est protégé de l’extérieur à l’imitation du Japon ; les industries nationales balbutiantes, les futurs chaebols, ont été protégés et surtout ouvertement aidés par l’Etat. Une hérésie anti-libérale aujourd’hui !
Ensuite, quitte à être l’allié obligé de Tokyo et Washington, Séoul a attiré les entreprises délocalisées en fournissant main d’œuvre peu coûteuse et surtout cadres bien formés, l’amorce d’une classe moyenne vite démocrate.
Pour finir, la monnaie a toujours été artificiellement baissé afin de faciliter les exportations. La Corée du sud a ainsi exporté quantité de produits d’abord bas de gamme puis de plus en plus élaborés jusqu’à être aujourd’hui leader dans l’électronique ou l’automobile.
Misant ensuite sur la montée en gamme et la spécialisation le pays a, à son tour, déplacés ses usines en Chine ou ailleurs en Asie là où les salaires sont plus faibles. La ZES de Kaesong en Corée du Nord fait travailler 14 000 salariés du Nord sous le contrôle de cadres du sud.
le spectre de la désindustrialisation guette
Mais le spectre de la désindustrialisation guette : le chômage est une réalité. Comme au Japon il bouscule le mode de vie et le rapport à l’entreprise. Longtemps les employés coréens ont été durs à l’ouvrage mais bénéficiaient en retour de l’emploi à vie et d’une promotion presque certaine. Cela n’empêchait pas les mobilisations sociales massives pour de meilleurs salaires. Aujourd’hui, adaptées à la mondialisation, les entreprises usent et abusent des CDD ! Comme en France, on pleure les « 30 glorieuses ».
Quant aux chaebols, protégés et aidés par l’Etat ils ont été à la fois performants et corrompus ! Leur comptabilité a longtemps été très floue et leurs liens avec la dictature, certains ! Il en a résulté une image déplorable.
La crise de 1998-99, dite « crise FMI » a duré un an, mais a tout de même fait vaciller l’économie du pays ! D’un coup on découvrait que les célèbres chaebols étaient assis sur des abîmes de dettes... La remise à plat de leur comptabilité et de leurs pratiques fit grand bruit. Plusieurs hauts dirigeants dans l’entourage des vieux fondateurs furent lourdement condamnés, mais jamais la propriété ne fut contestée. Ces multinationales restent tentaculaires. Comme Google ou Goldman Sachs, ces entreprises géantes sont plus puissantes que certains Etats…
Pour finir un accord de libre-échange a été signé avec les USA en 2004. Il déclencha un vaste mouvement de contestation multiforme dans le ton de celui qui mobilise actuellement en Europe contre le traité transatlantique. Même avec des modes de vie états-uniens les sud-coréens n’en demeurent pas moins lucides sur le capitalisme et ses conséquences. Le cinéma, libéré du joug de la censure, témoigne de cette ambiance contestataire.
Vertige du post-développement
Mais que se passe-t-il quand le pays est développé ?
C’est toute la question posée à la démocratie de marché sud-coréenne. Comme en Occident les nouveaux exclus de la croissance encombrent les grandes villes à commencer par Séoul qui amalgame un tiers de la population. Un exemple abouti d’hypertrophie urbaine. Les classes moyennes menacées par la précarité y subissent l’arrogance des habitants des quartiers huppés dont le célèbre Gangnam moqué par Psy.
Dans les familles la natalité s’est effondré : pas plus de 1,2 enfants par foyer ! De quoi faire vieillir la population à grande vitesse ! Dès lors que deviendra la belle croissance et l’innovation quand la jeunesse aura durablement décliné ? Et les travaux repoussants ? Qui les fera sinon les nord-coréens ?
Les parents se ruinent en étude pour que l’enfant unique accède à des formations de qualité, un problème central comme aux USA ou ailleurs dans le monde développé capitaliste.
Quand à l’environnement c’est le grand oublié du développement. Comme en Chine actuellement il a été sacrifié sur l’autel des chaebols. Ces derniers continuent d’ailleurs à avoir une influence colossale sur la vie et la politique du pays.
c’est l’individualisme poussé à l’extrême
Mais l’impasse majeure du quotidien en Corée du sud c’est l’individualisme poussé à l’extrême, ces individus nés avec la démocratie et fragilisés par l’érosion des repères : la dictature a profané l’idée de nation (toute aussi revendiquée au Nord) et le marché a liquidé les certitudes et atomisé la famille. Sortis de la quête effrénée de l’argent pour l’argent il n’y a plus rien dans la vie réelle, d’ou un investissement dans les vies parallèles sur internet ou ailleurs, la recherche d’une communauté impossible, l’essor des sectes en tout genre. Face à ce « modèle » il n’existe aucune alternative, la Corée du Nord ayant achevé toute idée de changement social. Dès lors, pour beaucoup, Facebook fait office d’avatar de changement. Jusqu’à quand ?
Liens : De quoi la Corée du Nord est-elle le nom ? ; Histoire de la Corée (livre)
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021