Août 2006
Où va Cuba ?
par Terouga
I. “Ce qui est à nous est à nous”
Quand on arrive à Cuba, la première sensation n’est pas la chaleur, mais plutôt la moiteur. Dès la sortie de l'avion les 80 % d’humidité vous colle à la peau pour ne vous lâcher que près d’un climatiseur.
Assez vite on se rend compte que l’île n’est pas riche, la route qui relie l’aéroport José Marti à la capitale est certes praticable, mais on traverse des habitations mal entretenues, dévorées par l’humidité. Cette impression ne sera pas démentie par la suite. On constate aussi que la population est réellement métissée, tellement mélangée que seul le patriotisme peut transcender les particularismes et autres régionalismes. Contrairement à d’autres pays, les impérialistes ne peuvent jouer sur les communautés, les tribus ou les origines des habitants.
Surprise : les portraits de F. Castro sont totalement absents de la ville, ceux de Guevara très rares. Par contre, on trouve, si on cherche, des slogans patriotiques et poétiques qui rappellent que nous sommes sur une île souveraine et indépendante des USA. Ainsi peut-on lire ici ou là des vérités du genre “ce qui est à nous est à nous” ou encore “la patrie ou la mort”, etc.
L’un des plaisirs de voyager à Cuba est d’être dans l’un des pays les plus indépendants des États-Unis. Dès 1959 les dirigeants américains veulent contrôler et corrompre Castro dans le but de jouir des richesses de l’île alors presque totalement contrôlées par les mafieux américains. Devant l’indépendance inattendue de Castro et consorts les trafiquants américains poussent leurs élus à étouffer et attaquer l’île ce qui décidera Castro à rejoindre l’URSS alors que le Lider Maximo et Guevara n'étaient pas, à l’origine, des communistes orthodoxes, mais plutôt des révolutionnaires populistes d’origine bourgeoise.
Du coup, quand l’URSS dérivera vers le libéralisme avec Gorbatchev avant de disparaître dans la gabegie eltsinienne, Castro saura décommuniser l’île et s’adapter à la nouvelle situation à hauts risques. Cela explique peut-être l’absence de culte de la personnalité et aussi l’invisibilité des symboles communistes... Le castrisme est avant tout un nationalisme et un populisme car si les références marxistes manquent, les gloires de l’histoire cubaine ne manquent pas : J. Marti bien sûr, mais aussi toute une galerie de héros de l’indépendance totalement méconnus en France (Céspedes, San Martin…).
Les années 90 sont donc des années noires à Cuba : sans l’aide du bloc de l’est et soumise à un embargo de la part des USA les conditions de vie des Cubains se détériorent complètement. Le manque de pétrole désorganise les transports publics (les voitures privées sont aujourd'hui encore très rares), généralise les coupures de courant et les produits manufacturés et pharmaceutiques manquent cruellement. Conséquence : les villes pourrissent littéralement sur pied et la pauvreté se généralise jusqu’à la sous-nutrition.
Que faire ? Souple, courageux et plutôt honnête le Parti et son chef décident d’ouvrir l’île au tourisme et de travailler avec des entreprises étrangères, mais là où des États démissionnent et privatisent, l’État cubain reste le seul et unique gestionnaire de l’économie, c’est la seule façon d’éviter une domination de toute l’économie par une poignée de multinationales : le tourisme étranger est donc un secteur entièrement encadré par l’État qui gère directement ou taxe lourdement les activités touristiques. Ainsi quand on se déplace dans le pays, les services locaux étant problématiques et de qualité suspecte, on est obligé de payer des sommes importantes pour vivre normalement, cela entraîne un évident “apartheid touristique” car aucun cubain ne peut se payer des services ou des objets en pesos convertibles, la monnaie que donnent les banques d’État en échange de devises étrangères. Rappelons que si tout le monde a un emploi à Cuba les salaires ne dépassent guère les 12 euro mensuels.
Cuba a donc évité la complète banqueroute en tolérant une ouverture au tourisme international, ce fut carrément la seule rentrée d’argent dans la première moitié des années 90. Cela explique la longue réputation sulfureuse de Cuba en matière de tourisme sexuel. En effet, n’ayant pas les moyens de filtrer les entrées et bien moins organisé qu’aujourd’hui, le proto-tourisme du début des années 90 a d’abord été un tourisme interlope mélangeant militants communistes et amateurs de jeunes beautés latines, même si le contexte tropical n’incite guère à la bagatelle... Les autorités, décidées à amorcer la pompe du tourisme de masse ont laissé faire. Du coup, le Malecon (long front de mer de 8 km) se métamorphosait chaque soir en boulevard de la prostitution tant homosexuelle qu’hétérosexuelle. Cette politique rendu obligatoire par l'asphyxie de l’île a eu des conséquences logiques : vraie réputation libertine (reprise dans Plateforme de M. Houellebecq) mais aussi multiplication des cas de SIDA et pédophilie internationale. Et, là où des États faibles et corrompus auraient caché le problème et encaissé les dollars, les Cubains ont réagit et régler la situation en enfermant les pédophiles et en interdisant la prostitution. Du coup, le phénomène semble avoir considérablement déserté les rues pour se cacher. Situation qui a encouragé un tourisme plus familial et plus sain.
Plus de 15 ans après la disparition de l’aide soviétique, Cuba survit de mieux en mieux à l’hostilité américaine : les partenariats se multiplient avec les pays européens, le Canada ou la Chine et les îlots de libéralisme sont contrôlé très étroitement car même les Cubains à leur compte (chauffeur de taxi, loueur de chambres...) sont taxés, encadrés, soumis à autorisation. Comme dans n’importe quel État moderne et fiscalement sérieux. Cette politique évite la création d’une oligarchie mafieuse comme dans d’autres États trop brutalement livrés au marché.
II. “Éduquer c’est créer”
Fierté de la révolution cubaine : les services publics :
Cuba passe pour le pays où les citoyens bénéficient d’une santé et d’une éducation de haute qualité. Il est certain que l’analphabétisme a reculé et que l’espérance de vie est élevée, de même le nombre moyen d’enfant par femme est dans la norme des pays occidentaux. Cuba est donc mûr pour la croissance et le développement. Reste qu’en comparaison des critères occidentaux, ces services sont tout de même de qualité et de quantité faible ce qui est déjà un maximum par rapport aux revenus du pays. Pour un pays de l’arc caraïbe, le succès est évident. De même un service de transport en commun et la sécurité complètent ces acquis même si, là aussi, c’est un minimum souvent incomplet. En effet, si la police est très présente et convenablement payée, on se demande toujours si cette force surveille les éventuels délinquants (qui pourraient voler quoi ?) ou de potentiels opposants au régime... Rappelons qu’aux États-Unis les délinquants cubains et les dissidents cubains sont les mêmes…
À Cuba l’État n’a donc nullement introduit le loup libéral dans la bergerie sociale : pas d’écoles privées, pas de bus privés, pas de presse “libre”, etc. Une façon de ne pas entrouvrir la porte des “réformes”, qui, rappelons-le, ont toujours été instrumentalisées par des réseaux mondialistes contre les peuples. Avant la révolution de 59, tous les mouvements sociaux cubains (nationalistes, communistes, socialistes, étudiants, etc.) se brisaient sur la question de la propriété : depuis la domination américaine consécutive à la défaite des Espagnols (1898) pratiquement toute l’île appartenait à des grands trusts américains liés aux mafias yankees bien connues. United Fruit, Barcadi et quelques banques et multinationales pillaient l’île avec la complicité d’une clique de politiciens corrompus aussi proches d’eux que Sarkozy du MEDEF... Le monopole absolu de l’État castriste sur la propriété (jusqu’aux logements !) n’est donc nullement idéologique, mais bien tactique : pour ne pas devenir un Zaïre bis, l’État cubain se doit d’être omnipotent car jamais le capitalisme international ne tolérera une économie mixte à 80 km de la Floride du frère Bush.
Cette situation explique aussi les rares mais brutales persécutions qui touchent les dissidents. En effet, une certaine liberté d’expression existe dans la population, le journal officiel reconnaît et traite des problèmes quotidiens et la “période spéciale” a été féconde en débat publics sur les ratés du système, mais le Parti n’a jamais toléré la moindre organisation politique opposante, c’est plutôt l’union sacrée derrière la nation qui a permit d’intégrer des structures comme l’Eglise catholique, cheval de Troie habituel des anti-communistes. Et puis quel crédit apporter à des opposants basés à Miami, financés par les politiciens américains les plus extrémistes ? L’idéal pour ces réseaux serait une “révolution orange”, c’est à dire sympathique en apparence, mais oligarchique en réalité. Là aussi la fermeté des autorités trouve une justification.
III. L’avenir du castrisme
L’avenir de cet équilibre instable entre agressivité US et national-populisme est incertain. Certes le pétrole de Chavez et la sympathie du monde indépendant des États-Unis est un plus par rapport à l’époque du cancer eltsinien, mais cela suffira-t-il a développer le pays et à gérer la proximité de la Floride ?
Que pensent les Cubains de Cuba en voyant les émigrés revenir ponctuellement au pays les poches pleines ?
La révolution de 59 appartient au passé. Elle a modernisé et assaini le pays d’une façon spectaculaire en distribuant équitablement les maigres richesses de l’île et en assurant l’indépendance nationale. Il reste à développer vraiment le pays dans la durée en orientant l’économie vers l’expertise ou l’informatique. C’est là une mission de longue durée qui se fera sans F. Castro. 80 ans cette année, au pouvoir depuis plus de 45 ans il est temps de passer la main. Mais à qui ? Et pour faire quoi ?