juillet 2005
La Résistance irakienne et la France
Interview de Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes
L’association des Amitiés franco-irakiennes (AFI) a été fondée en 1985 par l’orientaliste Jacques Berque et des personnalités françaises favorables à la politique arabe de la France.
Cette association a apporté son soutien à l’Irak dans son conflit avec l’Iran - qui avait éclaté quelques années plus tôt – puis s’est opposée à la participation de la France à la guerre du Golfe de 1991. Elle a ensuite milité pour la levée de l’embargo imposé à l’Irak et dénoncé – preuves à l’appui et sur le terrain - le mensonge des armes de destruction massive. Lors de son assemblée générale en juin 2003, il a été décidé de soutenir la résistance irakienne, sans exclusive.
Gilles Munier est secrétaire général des AFI depuis 1986, il est l’auteur d’un guide politico- touristique de l’Irak, traduit l’an dernier en américain [1]
Question : Depuis la victoire autoproclamée des envahisseurs que pensez-vous de la position de la France vis-à-vis du « gouvernement » irakien ?
La prise de position de la France et le discours de Dominique de Villepin aux Nations unies sont maintenant de l’histoire ancienne. Les Irakiens nous sont reconnaissants du geste mais regrettent que Jacques Chirac n’ait pas eu alors le courage de réclamer un vote de l’ONU qui aurait peut être empêché les États-Unis et la Grande-Bretagne d’agresser l’Irak.
Les Irakiens nous reprochent d’avoir rétabli nos relations diplomatiques avec leur pays sans attendre le départ des troupes US et d’avoir accepté de former des policiers irakiens dans le cadre de l’OTAN.
Ils trouvent aussi que nous avons oublié un peu vite la proposition faite l’an dernier par Michel Barnier d’inviter la résistance à participer aux conférences internationales organisées pour discuter de l’avenir du pays.
Il existe un courant dit anti-français dans la résistance, c'est-à-dire qui accuse Paris de double jeu, d’hypocrisie. Ses membres mettaient déjà en doute la sincérité de la politique française à l’époque de l’embargo. La résolution 1559 contre la Syrie - inspirée par la France - et les pressions franco-américaines sur ce pays, sont perçues par les nationalistes arabes radicaux et par les islamistes comme des trahisons. Ce n’est pas l’annonce toute récente par le Washington Post de l’existence à Paris depuis 2002 d’un centre secret d’espionnage CIA-DGSE, baptisé « Alliance Base », qui va les faire changer d’avis. Bien au contraire…
Q: De quelles tendances politiques se compose la résistance irakienne ?
La résistance irakienne comprend des patriotes de toutes les tendances politiques, de toutes les ethnies et de toutes les tribus ou communautés religieuses existant en Irak. Ses principales composantes sont baassistes, islamo-baassistes et islamiques d’obédience sunnite, chiite ou soufie. Il ne faut pas négliger la participation dans ses rangs de nassériens, de communistes, et de Kurdes : tous ne sont pas derrière Barzani et Talabani, loin de là.
Q : Selon vous peut-on dire que la résistance irakienne est unie ?
Oui, unie sur un objectif : bouter les anglo-saxons et leurs supplétifs locaux hors d’Irak ! Il existe bien une amorce de Conseil National de la Résistance présidé par Izzat Ibrahim Al-Douri, mais il s’agit pour l’instant d’une coordination décentralisée [2]. On ne peut pas comparer la résistance irakienne à celle des Vietnamiens ou des Algériens, car les moyens dont disposent les États-Unis pour l’annihiler sont considérables. Les cellules combattantes sont donc autonomes. Elles le resteront le temps qu’il faudra pour contrecarrer tout risque d’infiltration.
Q : Le Parti Baas a-t-il encore une existence politique en dehors du « triangle sunnite » ?
Le Parti Baas n’était pas uniquement composé de sunnites ou de tikritis. Les chiites y étaient nombreux. Il suffit pour s’en convaincre de connaître l’appartenance religieuse des dirigeants regroupés dans le « jeu de cartes ». Après l’agression, dans les régions à majorité chiite, on a assisté à de véritables chasses à l’homme pour éliminer les Irakiens soupçonnés d’être baassistes. Des familles entières ont été massacrées par la Brigade pro-iranienne Badr et les nervis d’Ahmed Chalabi. Depuis, heureusement, la peur a changé de camp. Les collabos rasent les murs… Oui, le Parti Baas est présent en dehors du « triangle sunnite ».
Q : Pourquoi le Parti Baas n’apparaît-il pas ouvertement comme organisation de lutte ?
Pour des raisons tactiques évidentes. La guerre de libération doit être celle du peuple irakien tout entier, pas d’un parti. Mais, il existe un Parti Baas clandestin et des cellules dormantes baassistes partout dans le pays.
Si les baassistes sont la colonne vertébrale de la résistance, c’est parce ce que les dirigeants irakiens ont eu 13 ans pour préparer leur peuple au combat. Saddam Hussein et des généraux triés sur le volet ont choisi et formé des hommes et des femmes puisés dans le vivier de l’Armée d’Al Qods, dans les rangs des Fedayin, de la Garde républicaine, ou des moukhabarat.
Q : Selon vous les partis chiites pro-iraniens peuvent-ils se soulever contre les occupants ?
Oui, si l’Iran est agressé par les États-Unis ou par Israël. L’Ayatollah Al Sistani, Abdul-Aziz Al Hakim - chef du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak - et Ibrahim Al Jaafari d’Al Dawa, pourraient profiter de l’occasion pour se laver des accusations portées contre eux par la résistance.
Il ne faut pas croire que la résistance est absente dans le sud. Il y a des embuscades et des attentats presque tous les jours du côté de Nassiriya ou de Bassora.
Q : Que devient la faction de Moqtada Al-Sadr ?
Sous l’ombrelle américaine, le clan qui dirige aujourd’hui l’Irak est composé d’Irakiens d’origine persane ou tout simplement d’Iraniens enrôlés dans la Brigade Badr.
Le réveil des chiites que l’on vient d’évoquer profiterait plus à des dirigeants comme Moqtada Al-Sadr, Jawad Al-Khalissi, ou l’Ayatollah Al-Baghdadi qui sont Arabes et patriotes. L’Armée du Mehdi créée par Moqtada Al-Sadr s’est réorganisée. Elle est présente partout. Ce n’est plus une faction, mais une des composantes majeures du mouvement de libération nationale.
Q : Avant les élections certains comptaient sur un retour politique du Parti communiste irakien, pourquoi a-t-il fait un score si ridicule ? Les scores ont-ils été proportionnels au nombre de miliciens ?
Les élections législatives étaient une vaste mascarade [3]. Le retour du Parti communiste irakien était impossible car il est complètement discrédité ! Depuis la guerre du Golfe de 91, et surtout depuis la disparition de l’Union soviétique, il joue carrément la carte américaine. Les Américains n’ont besoin de soi-disant communistes que pour calmer certaines revendications sociales notamment la colère des ouvriers du pétrole.
Heureusement, des communistes ont fait scission et rejoint la résistance. Il existe un Parti Communiste irakien (Cadres de base) et un Parti communiste irakien – Front patriotique qui luttent dans la clandestinité avec des groupes nassériens.
Q : Selon vos sources, le chiffre des pertes américaines (environ 1700) est-il sous-évalué ? Et si oui, de combien ?
Le chiffre des pertes est nettement sous évalué. Le Pentagone ne prend pas en compte les GI’s d’origine étrangère, c'est-à-dire ceux qui se sont engagés dans l’espoir d’obtenir la nationalité américaine à leur démobilisation. Il ne prend pas en compte, non plus, les blessés décédés dans les hôpitaux des bases US en Allemagne ou ailleurs. Au chiffre des pertes militaires, il faudrait aussi ajouter celui des mercenaires, les « contractors », qui avoisinent les 400 morts.
En fait, le nombre des victimes US serait d’environ 9000 morts. Si on le compare aux pertes enregistrées au début de la guerre du Vietnam, c’est énorme. Et encore, il ne s’agit que d’une estimation [4].
En ce qui concerne le nombre des civils irakiens tués par les Américains et leurs supplétifs depuis avril 2003, le Dr. Hatim Al-Alwani qui dirige à Bagdad l’ « Organisation humanitaire irakienne », estime leur nombre à 128 000 personnes [5]. Il affirme que 55% d’entre eux seraient des femmes et des enfants de moins de 12 ans.
Q : Existe-t-il en Irak des combattants étrangers non islamistes ?
Oui, bien sûr, comme il y avait des combattants d’autres pays arabes dans les maquis algériens, ou des communistes et des anarchistes venus du monde entier dans les rangs républicains en Espagne. Mais, ils ne sont pas très nombreux.
Q : La nomination d’un porte-parole (Ibrahim Youssef al Chammari) de plusieurs groupes de résistance irakiens est-elle crédible ?
C’est de la désinformation, même s’il existe des « discussions secrètes » entre membres des services secrets américains et personnalités proches de la résistance. Le 4 juillet dernier, Abou Jandal Al-Chammari, commandant en chef de l’Armée des Moudjahidine, a signalé qu’Ibrahim Youssef Al-Chammari ne représente pas son organisation. C’est soit un affabulateur, soit un agent américain.
On parle de négociation, mais qu’y a-t-il à négocier ? Uniquement le départ d’Irak des forces américaines et de leurs supplétifs. Et encore… nombreux sont les patriotes irakiens qui rêvent d’infliger aux États-Unis une défaite en rase campagne et de passer par les armes leurs collaborateurs locaux !
Q : Les États-Unis peuvent-ils encore atteindre leurs objectifs en Irak ?
Certains, peut être, comme par exemple : donner aux colons israéliens quelques dizaines d’années de plus en Palestine, créer un État kurde, privatiser le pétrole, partager provisoirement l’Irak, mettre la main sur l’alimentation de la région en eau…. Il s’agit de victoires à la Pyrrhus, d’une fuite en avant.
Le projet américain de « Grand Moyen-Orient » est synonyme de chaos. Sa poursuite provoquera des répercussions terribles en Europe. Les attentats de Londres – après ceux de Madrid - sont un aperçu de ce que devient la mondialisation des guerres de libération. La France et l’Europe doivent choisir leur camp. À l’évidence, ce n’est pas celui des néo conservateurs américains.