A l’ombre des lumières : la peur, les peurs
Les « prophéties » jansénistes
Un convultionnaire janséniste au XVIII°s...
On a tendance à retenir du XVIII°s les évolutions positives et progressistes, or, l’étude fine des mentalités de l’époque révèle de lourds contrastes entre une élite partiellement éclairée et le reste de la population travaillée par la précarité du quotidien.
Dans les villes des angoisses populaires prennent la forme « d’émotions » qui aboutissent à des émeutes aussi courtes que violentes. Ainsi sous Louis XV, les Jansénistes véhiculent des discours anxiogènes.
Persécutés plus ou moins fréquemment par la police secrète du roi ce courant marginal du catholicisme existe sous forme de cercles clandestins ou des « prophètes » entrent en transe et déblatèrent des « récits » comparant la France de Louis XV à l’Egypte esclavagiste des Hébreux… Des « prophéties » décrivent Paris comme déserté et touché par des malheurs divins, etc. Un message sinistre qui fera apparaître la révolution et la Terreur comme des « châtiments divins » sensés punir la monarchie et l’Eglise. On est très loin de l’interprétation cartésienne de 1789 !
Passés à la clandestinité après l’affaire des convulsionnaires de Saint Médard (1732), les cercles jansénistes vivent dans la hantise des arrestations et véhiculent un discours millénaristes angoissant car affirmant que les autorités (Eglise, monarchie) sont dévoyées et nullement dignes de confiance.
La police enlève des enfants (sic)
Mais dans d’autres milieux moins religieux ce sont certains agents de la monarchie qui sont visés par les appréhensions populaires. Ainsi les 22 et 23 mai 1750 plusieurs émeutes éclatent à Paris en réaction à de supposés enlèvements d’enfants par la police ! Rien de moins.
En effet, périodiquement des troubles éclatent car des milliers de gens croient que des policiers ou des indicateurs (les « mouches ») profitent de leur pouvoir pour enlever, abuser et vendre des enfants. Nulle preuve n’accréditera jamais cette thèse mais les gens y croient assez pour se mobiliser et tuer certains suspects… Faut-il y voir une confusion avec l’arrestation de vagabonds ? A Paris des centaines d’entre eux sont arbitrairement arrêtés et déportés vers les colonies. Le tout se fait par le fait de polices secrètes ce qui accrédite encore les angoisses populaires.
Comme toujours la rumeur et la peur ont une base vraie : la toute puissance des polices du roi. Elles bénéficient de l’impunité, use de la violence, est corrompue. Avoir à faire à elles angoisse les populations car les avocats coûtent cher, la torture est fréquente, les juges peu fiables… On redoute la police autant qu’on la souhaite face à d’autres dangers urbains (mendiants…).
Les affaires d’enlèvements supposés d’enfants éclatent donc assez régulièrement. La thématique sexuelle apparaît aussi en parallèle des mœurs dépravées du souverain Louis XV, réel amateur de femmes mais nullement violent ou pédophile.
Les complots de famines
Plus fréquent encore : le complot de famine ! Des spéculateurs (nobles souvent) achèteraient et stockeraient des grains afin d’affamer le peuple et vendre au prix fort de quoi nourrir les foules au bord de la disette. Là aussi la spéculation existe bien évidemment, mais elle n’explique pas les variations des prix. Ce sont surtout les conditions météorologiques et aussi la hausse continue de la population urbaine qui rend les populations vulnérables aux hausses de prix.
Or la peur des famines et surtout la hantise d’un « complot » destiné à affamer le bon peuple, est un classique du XVIII°s, les couches de la population les plus fragiles sont persuadées que ces complots existent même si aucune preuve ou aucun procès ne vient accréditer cette thèse. Plus que jamais, comme avec les enlèvements d’enfants on redoute les élites.
La « guerre des farines » en 1775 illustre comment la réforme du commerce des grains dégénère en violences. La volonté de Turgot de liquider les obstacles au commerce des grains dans le royaume entraîne une peur des spéculations qui pousse les plus prudents à faire des stocks et ainsi entraîne -par prudence- une pénurie ! Cette dernière ou la peur de celle-ci déclenche des attaques de convois de grains, des pillages et des accrochages entre populations inquiètes et forces de l’ordre complètement dépassées par ces désordres inattendus.
Le renvoie de Turgot et d’abandon rapide de ses projets éteignent la révolte jusqu’en 1789 où la même idée de complot ressurgit quand les prix alimentaires montent. Là aussi, du fait des récoltes insuffisantes.
Les élites aussi ont peur
Mais les élites aussi sont volontiers apeurées dans leur quotidien et leur vécu social. Les cercles conservateurs (certains nobles et catholiques) redoutent les réformes et les philosophes. Les attaques de Voltaire laissent des traces dans les milieux conservateurs que les « nouvelletées » mettent mal à l’aise. On craint les idées nouvelles, l’égalité des droits envers les minorités religieuses et surtout la suppression des privilèges fiscaux.
Du côté des élites éclairées on craint par dessus tout la violence de l’Etat, du roi et plus encore de « la cour », c’est à dire ceux et celles qui peuvent abuser de leurs pouvoirs surtout à travers la lettre de cachet.
Ainsi les parisiens qui attaquent la Bastille sont persuadés de libérer de nombreux détenus politiques. On sait qu’ils ne trouveront que sept embastillés dont aucun n’étaient des prisonniers d’opinion… La lettre de cachet pour arbitraire qu’elle soit n’est plus utilisée que par certains nobles pour des affaires privées. Qui le sait ? Qui le dit ? La peur demeure dans la mesure où la justice reste suspecte et ouverte à toutes les influences.
Comment expliquer autrement l’affaire Calas où le parlement de Toulouse fait mettre à mort un innocent ? Il s’agit pour les juges de réagir au supposé crime d’un fanatique protestant. Dans l’imaginaire catholique de l’époque le danger protestant reste une « réalité ». Des incidents trouvent un écho disproportionné quelques années avant dans la région toulousaine et cette peur entraîne la pire erreur judiciaire du siècle avec l’exécution du chevalier de la Barre. Là aussi, réaction apeurée de l’Eglise qui confond perte d’influence et irréligion.
Le roi lui-même
Au sommet de l’Etat le roi lui-même n’est pas exempt d’un certain malaise… Sa jeunesse, sa timidité et l’ampleur des défis font de Louis XVI un personnage inquiet, extrêmement prudent et très sensible aux « informations » que certains conseillers lui fournissent.
Comment expliquer qu’il ne s’en tienne pas à une politique de réformes auquel il adhérait pourtant ? Comment expliquer aussi sa seule et unique sortie de Versailles et Paris entre 1774 et 1789 ?
Si il fit preuve de courage personnel et physique lors des évènements révolutionnaires, sa peur constante de perdre ses pouvoirs ou trahir ses convictions lui firent commettre l’irréparable. Sa fuite vers l’est répond sans doute à une appréhension face à la peur du lendemain.
Avant 1789 il est aussi souvent informé des pamphlets et des publications anonymes ordurières qui circulent sur lui et sa femme. La thématique sexuelle y est récurrente. Là aussi, comment ne pas être touché par la certitude que certaines calomnies sont plus ou moins crues par la population ?
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021