La coquille, cruelle actualité !
Il y a des livres qu'on lit sans répit, des livres qu'on reçoit comme un coup de poing... La coquille en fait partie.
Attention, c'est un choc littéraire dont on ne se remet pas vraiment.
Langue sobre, histoire simple, insoutenable tension... Quand on débute ce récit on en devient immédiatement prisonnier jusqu'au dernier mot.
Cruelle actualité : La coquille raconte les 13 années d'incarcération de l'auteur, jeune cinéaste syrien qui revient dans son pays après des études à Paris. Immédiatement arrivé, immédiatement enfermé, torturé et déporté dans le désert !
Son crime ? Appartenance aux Frères Musulmans, islamistes alors en lutte violente contre le pouvoir de Hafez-el-Assad (au début des années 80). Or, le personnage est d'origine chrétienne et même personnellement athée ! Une conviction qui l'isolera de ses codétenus presque tous islamistes plus ou moins convaincus.
Une fois arrivé dans le bagne du désert commence une longue nuit d'enfer avec des gardiens dans le genre des SS ou des soudards des camps staliniens. Pour eux les détenus sont des chiens qu'ils frappent et insultent à longueur de journée. Tous les camps de concentration sont gérés pareil...
Seuls "avantages" ils ne sont pas forcés de travailler et bénéficient de quelques soins médicaux quand la tuberculose frappe. Mais sinon, les supplices ordinnaires (coups) ou extraordinnaires (assassinats) pleuvent en toute saison sans qu'ils sachent si ils vont sortir un jour.
Chaque semaine un "tribunal" vient "juger" des dizaines de détenus : tous pendus après quelques minutes de procédure. Si les islamistes les plus convaincus marchent au supplice la tête haute certains craquent et le narrateur les voient mourrir horriblement par un trou dans le mur.
Ecrit avec des mots simples on peut lire l'insuportable, encaisser l'inhumain... Jusqu'où ? Peut-être ce passage ou un père voit ses trois fils partir à la potence et rester seul à 70 ans. Ou quand un détenu victime d'une appendicite se fait opérer presque à mains nues (avec succès) par un des multiples médecins du dortoir. Il y a aussi le toubib de la prison qui tue ses camarades de promotion pour laver une vieille humliation de l'université, etc.
Mis à l'index par ses codétenus le narrateur observe, analyse et digère tout ça depuis ce qu'il appelle sa coquille... Jusqu'au jour où il finit par être intégré et protégé par le groupe. Il sympatise alors avec d'autres hommes de son profil. Enfin !
Puis arrive la libération. Le transfert dans plusieurs centres des différents services de sécurité (il y en a 5 en Syrie), d'autres tortures et des heures enfermé avec le cri d'inconnus torturés... Puis, de nouveau, la liberté grâce à un oncle entré au gouvernement !
Mais des maux supportés si longtemps cassent quelque chose. Quand la survie n'est plus acquise de haute lutte le corps et l'esprit se ramolissent et vient le temps des fantômes comme celui d'un codétenu libéré qui se suicide.
On referme le livre avec une étrange sensation de gâchis et d'actualité en voyant la vie autrement.
Liens : Regards sur la Syrie