Qui se souvient de Ernst Hanfstaengl ? Peu de monde. Ce fut pourtant un témoin original des premiers pas de Hitler dans les années 1920. Original car peu de choses destinaient Hanfstaengl à être proche d'Hitler. Germano-américain issu de la haute bourgeoisie il fait Harvard et côtoie facilement ex et futur présidents us ! En 14-18 il reste même aux USA où il n'est nullement inquiété contrairement aux autres Allemands.
Germano-américain issu de la haute bourgeoisie
En 19-20 il retourne en Bavière. La région comme le reste du pays est ruinée et en proie à la peur du communisme (qui a sévit durant quelques semaines). C'est donc par anti-communisme et tuyauté par un ami de l'ambassadeur us qu'il s'intéresse à Hitler, agitateur nationaliste brillant à l'oral mais marginal socialement. Muet sur son éventuel antisémitisme (il publie son livre en 1967) il devient un soutient du jeune parti nazi et presque un intime du futur führer même s'il attend 1931 pour adhérer au Parti.
Son témoignage -comme tous les témoignages- pose question mais il a l'intérêt de valider d'autres connaissances sur Hitler.
Hanfstaengl, Hitler et Göring
Hitler est un piètre militant
Doué pour le dessin et hyper-mnésique Hitler est par contre un piètre militant : professionnel de l'agitation jusqu'au lamentable putsch de 1923 il laisse une poignée d'anciens combattants gérer le Parti au quotidien. Hanfstaengl avance même des fonds pour éviter la faillite au journal du NSDAP. Bien longtemps Hitler et les siens naviguent à vue dans une Allemagne qui s'intéresse peu à ces agités. Même les riches se méfient de cette bande qu'ils financeront pourtant massivement... plus tard !
Hypersensible à la musique, volontiers déséquilibré (car impuissant sexuellement selon l'auteur), psychorigide, addict au sucre et fermé sur le reste du monde Hitler sait aussi être normal comme avec les enfants de Hanfstaengl.
Hess, Rosenberg et Goebbels sont les pires
L'auteur fait aussi le tri entre les proches du futur tyran : Hess, Rosenberg et Goebbels sont les pires conseillers du Chef. Ce sont eux qui ont poussé ou entretenu l'extrémisme du leader. Il signale la bonhomie de Göring et la modération d'autres nazis de la première heure, autant d'inconnus disparus de la grande Histoire car le nazisme sera toujours cet attelage hétéroclite de membres des élites fascinés par Hitler (comme le fils de l'ex empereur Guillaume II) et de marginaux revenus des tranchées complètement déphasés. Beaucoup sont dévorés d'ambitions comme Himmler souhaitant être autre chose qu'un fils de bonne famille ou Goebbels complexé par son handicap. Mais peut-on être certain que l'auteur ne fut pas, lui aussi, un ambiteux. Le livre est muet sur ce sujet.
Tous sont dévorés d'ambitions
En 1928 le NSDAP est presque en panne, il fait autour de 3 % et certains chefs nazis pensent même écarter Hitler... Il est vrai qu'avant la grande dépression venue des USA le nazisme n'a aucun avenir dans une Allemagne tirée par le capitalisme mondialisé.
Sur la conquête du pouvoir l'auteur ne révèle rien sinon que Hitler s'attendait tôt ou tard à être appelé sans faire autre chose qu'agiter les foules... Comme si les élites allemandes avaient voulu utiliser Hitler comme pion dans une crise sociale avant de le jeter. On connaît la suite : une fuite en avant avec la complicité -au moins passive- de tous les corps constitués, cela jusqu'à ce que les idées cauchemardesques et simplistes du Guide soient une réalité inexpiable.
L'auteur date sa prise de distance de la Nuit des longs couteaux (1934), alors aux USA il apprend la liquidation de dizaines de nazis et de personnalités hostiles à Hitler. Revenu en Allemagne il retrouve un Hitler décontracté et une famille Goëbbels très tranquille quelques jours seulement après le massacre. Outré et inquiet Hanfstaengl prépare sa fuite alors même qu'il sent la pression monter, en effet, ses critiques de plus en plus nettes sur la politique étrangère nazie lui valent de sérieuses inimitiés. Il finit par fuir après une possible rentative d'assassinat. Commence alors une étrange odyssée de la Suisse à la Grande Bretagne où il est interné en 1939 ! Il rejoindra les USA plusieurs mois plus tard où il travaillera pour Roosvelt avant de revenir en Allemagne après 1945.
Il y coulera des jours tranquilles jusqu'à sa mort en 1975 sans que l'on sache jusqu'à quel point il fut (ou non) nazi.