Pavel Soudoplatov aura été l’un des rouages du système stalinien. Un de ces petits maîtres occupé à défendre le plus vaste pays du monde et son sultan oriental… Les mémoires de P. Soudoplatov, intitulées « Missions spéciales » auraient tout aussi bien être titrées « au cœur de la Terreur », un texte digne d’une bonne série netflix ! Sans être un tueur lui-même l’auteur aura été un collaborateur efficace de L. Béria, le chef de toutes les polices staliniennes à partir de 1938.
entré dans l’Armée Rouge à 12 ans Soudoplatov montera vite les échelons
Né en Ukraine et entré dans l’Armée Rouge à 12 ans (!) Soudoplatov montera vite les échelons et infiltrera les Nationalistes ukrainiens en lutte armée contre l’URSS dans les années 30. Muet sur la grande famine de 1933 il se fait un nom après avoir éliminé le chef ukrainien Konovalets en Hollande. Revenu en URSS il participe avec succès à l’élimination de Trotski en 1940 et sera aux premières loges quand Hitler attaquera sournoisement son allié soviétique en 1941. Incarnant avec d’autres la résilience du régime stalinien il coordonne les groupes de partisans anti-allemands tout en intoxiquant aussi l’ennemi grâce à de multiples espions, provocateurs, infiltrés, etc. Face au péril nazi la machine de guerre stalinienne se révèle durablement efficace. A cette époque-là, compte tenu de l’époque et de ses dangers, Soudoplatov n’émet ni doutes, ni regrets. Il voit le régime soviétique comme l’incarnation de l’État et se considère plus comme un patriote que comme un communiste. Rarement -pour ne pas dire jamais- il n’émet une opinion politique, il a une vision complètement amorale des enjeux. Ainsi sur l’assassinat de Trotski il précise que la lutte entre les deux chefs soviétiques ne pouvait que finir par la mort de l’un d’eux. Point. Quant aux purges internes aux serviteurs du régime l’auteur (pourtant inquiété un moment) ne les juge pas, constatant sobrement qu’il s’agit de luttes de pouvoir. A le lire le système semble très cloisonné, même en interne, pour l’auteur il n’est donc pas évident d’avoir eu une vue d’ensemble, surtout à l’époque. Ceux qui entoureront Staline jusqu’à sa mort entretiendront toujours des rapports compliqués, conflictuels, complexes… Staline était autant l’auteur que l’arbitre de cette mêlée permanente. Il s’illustre aussi dans l’espionnage soviétique en matière nucléaire : l’auteur affirme que presque tous les savants à l’origine de la première bombe us ont, volontairement ou non, transmis de quoi aider l’URSS à se mettre à niveau dès 1949.
Staline était autant l’auteur que l’arbitre de cette mêlée permanente
Finalement, c’est vers le début des années 50 que l’espion réalise l’injustice du système quand Staline s’en prend ouvertement aux Soviétiques juifs. Le tristement célèbre complot dit « des blouses blanches » est alors la partie visible de l’iceberg antisémite. Notre maître espion voit alors des dizaines de cadres dans tous les secteurs perdre leur emploi ou être enfermés du seul fait de leur judéité. Marié depuis sa jeunesse à une russe juive (elle aussi espionne) l’auteur voit le système persécuter la part la plus fidèle des Soviétiques, Staline ne tolérant pas une autre possible fidélité ethno-nationale. La cible principale de cette énième fièvre paranoïaque était Béria qui, après la mort du dictateur en 53, sera le premier à libérer les accusés et à tenté de réformer le système. Erreur : Khrouchtchev le liquidera dès décembre 53.
Béria chute et entraîne Soudoplatov avec lui...
Pour Soudoplatov les successeurs de l’Homme de Fer n’auront été que des politiciens avides, des intrigants et des incapables. Tout criminel qu'il était Staline aura, au moins, fait de l'ex empire russe arriéré une puissance mondiale de premier plan. Mais la suite est encore plus surprenante : après la liquidation de Béria l’espion, qui n’était qu’un collaborateur indirect du policier en chef, se trouve avec d’autres cadres du NKVD arrêté et condamné à 15 ans de prison pour avoir participé avec Béria à des tentatives de paix séparée avec Hitler en 1941 ! L’auteur a beau détailler les écheveaux des luttes entre les successeurs de Staline on comprend mal les ressorts de cette « affaire » qui mène Soudoplatov en prison. Dans un système répressif qui est uniquement basé sur la contrainte les mille-et-uns acteurs de la répression ne savaient que se persécuter eux-mêmes quand les vrais ennemis manquaient.
Mal traité au début puis de mieux en mieux considéré, Soudoplatov retrouve la « liberté » en 1968 en pleine invasion de la Tchécoslovaquie. Il n’aura de cesse de chercher à se faire réhabiliter dans une URSS de plus en plus baroque. Ultime ironie de l’Histoire il sera officiellement innocenté quelques jours après la fin de l’URSS quand le Parti n’était plus là pour circonvenir la justice. Conscient d’avoir joué un rôle historique il publie ses mémoires en 1993 avant de décéder en 1996.