Gorki à la fin de sa vie
Maxime Gorki a raconté sa jeunesse dans trois récits courts : Enfance, En gagnant mon pain et Mes universités. Bien que ces ouvrages n’aient pas laissé une empreinte durable dans la littérature, ils offrent une perspective unique sur la genèse de cet auteur majeur, mieux connu pour ses autres œuvres. Contrairement à de nombreux écrivains russes, souvent prolifiques et portés vers le lyrisme, Gorki se distingue par une sobriété et une lucidité remarquables. Pas d’ « âme russe », de « destin orthodoxe » ou de dogmes politiques écrasants. Dans son troisième volume où il a la vingtaine, Gorki dépeint certes l’effervescence des milieux politisés russes, mais fait surtout preuve d’une prudence rare vis-à-vis des élans révolutionnaires. Lucide face à l’impuissance des militants de l'époque, le jeune Gorki est, en réalité, l’un des rares à réussir à naviguer entre le peuple et l’élite intellectuelle.
le jeune Gorki est l’un des rares à réussir à
naviguer entre le peuple et l’élite intellectuelle
Gorki décrit avec brio des figures populaires éloignées de toute idéologie. Croyants critiques, tsaristes résignés, ces hommes et femmes ordinaires, à la fin du XIXᵉ siècle, ne semblaient nullement proches de la révolte. Gorki ne dépeint pas non plus une foule antisémite ou réactionnaire. Le consensus christiano-monarchique se fissure certes, mais lentement. Il dépeint ainsi ses grands-parents comme des vieillards en déclin et conservateurs de manière presque caricaturale.
il est amicalement incité à quitter l'URSS par Lénine
Avant 1917, en exil, il est proche des Bolcheviques pourtant l’écrivain ne verra pas dans la révolution d’octobre autre chose qu’un évènement inattendu et aux antipodes des masses. Pour lui le peuple russe est avant tout un agrégat d’égoïstes, d’originaux, d’exploiteurs et d’exploités rêvant à toutes sortes de choses, mais sûrement pas au « grand soir ». Auteur de textes critiques il est amicalement incité à quitter la future URSS par Lénine lui-même. Pourtant Gorki finira par revenir jouer les écrivains officiels sous Staline. Il décédera en 1936 couvert d’honneurs dans une URSS redevenue une tyrannie pire que celle des tsars... Pourtant dans Mes universités (publié en 1923) il relate ses échanges avec l’écrivain Korolenko qui insiste sur la nécessité de penser par soi-même. Peut-être est-ce une critique discrète de la chape de plomb communiste qui étouffe déjà tout le monde y compris Gorki lui-même...
le sort des femmes est injuste
Témoignage peu connu ces trois livres éclairent aussi d’une façon originale la femme russe. A rebours de son époque Gorki précise à plusieurs reprises que le sort des femmes est injuste. Ainsi invité d’un cercle amical où l’alcool coule à flots il assiste après un certain degrés de beuverie à des orgies où les femmes finissent par être des proies. Dépité il interroge après coup l’une des victimes qui lui explique qu’en étant agressifs les hommes s’agressent d’abord eux-mêmes et qu’il vaut mieux les laisser faire (!). Gorki ne donnera pas son avis sur cette explication, mais n’est-ce pas une analyse lucide des prétendues vertus des exploités ? Peut-être comprend on mieux le choix de « Gorki » (c’est à dire « amère ») comme pseudonyme...