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La Syrie vers l’irakisation (sept. 2012)


Plus encore que les régimes despotiques tunisien et égyptien la Syrie d’avant la révolte était un régime fermé et autoritaire. Soudées autour d’un clan issu du coup d’Etat de 1970, les élites politico-économiques ont installé Bachar el-Assad à la place de son père en 2000 en espérant que rien de change. Or, la vague du « printemps arabe » a finit par déstabiliser le régime.
Marqué par des manifestations pacifiques localisées mais massives la révolte a été, après des hésitations, si sévèrement réprimée qu’elle a ouvert la porte à une opposition armée disparate mais surtout subventionnée par plusieurs puissances étrangères aussi peu démocrates que le régime…
Le risque est donc dans une irakisation de la Syrie, c’est à dire un éclatement régional à forte influence ethno-communautaire.


Un régime réduit à ses fidèles

Comme tous les régimes arabes autoritaires le pouvoir est concentré entre peu de mains. Sans légitimité électorale ni même historique le régime se présente comme l’héritier du nationalisme arabe le plus progressiste (le baasisme). C’est en partie vrai vu les relatives libertés sociales dont bénéficient les femmes ou la liberté religieuse des Chrétiens mais ces réels points positifs cachent mal la main mise d’un clan. Un clan minoritaire dans le pays puisqu’il se confond plus ou moins avec certains alaouites (branche du chiisme) et quelques familles sunnites. Ce pouvoir structurellement minoritaire est donc forcé de composer avec le reste de la population : protection des minorités, composition-répression avec la majorité sunnite, instrumentalisation du fait palestinien, ingérence au Liban… Le régime manœuvre plus ou moins habillement depuis les années 70 avec une seule priorité : durer dans un environnement instable. C’est cette realpolitik qui conduira Damas à soutenir les USA contre l’Irak en 1991 ! Le mirage nationaliste arabe est donc le passé d’une illusion.
Or, depuis l’échec de la répression du mécontentement populaire en mars 2011 le régime revient à ses vieilles méthodes : la violence. Méthodes rendues d’autant plus possibles par les agissements de groupes armés qui multiplient les exactions (un récent rapport de l’ONU taxe le pouvoir et ses opposants armés de crimes contre les civils).

Des civils meurent par centaines

L’étrange consensus se fissure donc sous les coups d’une répression qui devient de plus en plus aveugle, le régime n’hésitant plus à embastiller ou liquider certains cadres baasistes soupçonnés de mollesse face à la politique menée…


Acteurs de la violence

Derrière les rebelles, le spectre de l'extrémisme ?

Le pays est donc entré dans une guerre civile qui en rappelle d’autres : le renversement de Kadhafi mais aussi la guerre civile libanaise de triste mémoire : plusieurs groupes armés à assise communautaire et aidés par l’étranger affrontent un pouvoir réduit à ses seules clientèles.
C’est de plus en plus le cas en Syrie où le régime a perdu progressivement ses soutiens dans la population. Or, tant que l’armée reste relativement cohérente (les défections sont réelles mais pas légion) les groupes rebelles ne peuvent pas l’emporter définitivement : ils peuvent harceler l’armée et contrôler quelques zones mais pas durablement : quand un groupe de « l’Armée Syrienne Libre » s’implante dans un quartier ou un village les forces régulières assiègent et réinvestissent la zone au prix de durs combats et de dizaines de victimes civiles. Certains habitants ont même été collectivement visés, au moins trois massacres ont été identifiés sans détail sur le déroulement des tueries…
Face au régime on a donc plusieurs groupes de l’ASL en principe pilotés par un état-major basé en Turquie mais en réalité sans cohérence autre que locale. Certains groupes semblent vouloir respecter un minimum de règles et viser uniquement le régime et ses hommes, d’autres seraient coupables d’exactions contre des civils partisans réels ou supposés du régime… L’argent des monarchies réactionnaires du Golf, la Turquie et l’Occident misent sur eux pour en finir avec Assad qui bénéficie de l’aide russe et chinoise.
Il est certain aussi que des islamistes étrangers agissent en Syrie contre le pouvoir : leur nombre et leur influence font débat mais ils existent et seraient au moins plusieurs centaines et imposent déjà un islamisme fanatique là où ils sont puissants. Ils signent aussi parfois certains attentats urbains qui ont fait des dizaines de victimes… Certains seraient des militants d’al-Qaïda en Irak.
Dans le nord du pays la région kurde est de fait « autonome » : l’armée régulière l’a quitté pour se concentrer sur les grandes villes de l'ouest. Les militants proches du PKK turc ont donc pris le pouvoir dans la zone avec le soutien tacite de Damas qui souhaite encourager le séparatisme kurde en Turquie en réaction aux ingérences d’Ankara. 
En face le régime contrôle encore l’armée et surtout les bataillons dirigés par des fidèles de la famille Assad, par exemple la garde présidentielle dirigée par le frère du président, Maher (probablement blessé).
Il y a aussi les chahibas, milices locales au service du régime comme jadis les « groupes d’auto-défense » algériens armés par le pouvoir contre les islamistes… Là aussi, armer des civils augmente le degré de violence de la guerre civile qui descend jusque dans les villages…


Fin de partie

Difficile de dire comment va évoluer cette guerre civile : comme en Irak, le pouvoir central a assez d’armes pour se maintenir mais pas assez de soutien pour s’imposer. La répression a ruiné toute sa légitimité.
Quant à la rébellion elle est assez aidée pour résister aux phalanges du régime mais trop faible nationalement pour faire autre chose que des zones « libérées » coupées du reste du pays. Là aussi les exemples irakien ou libyen sont instructifs : les pays ont éclaté de fait en baronnies armées rivales généralement influencées par une puissance voisine.
Reste à tirer les leçons de plusieurs décennies de régime autoritaire qui a « sauvé » le pays sur le coup, mais qui n’a réglé aucun problème car les questions soulevées par le soulèvement islamiste de 1982 (20 000 morts à Hama) restent posées plus de 30 ans après : état de droit, corruption, égalité nationale contre communautés, etc.


Sur la situation à l'été 2011 : Pourquoi le régime tient

Regards sur la Syrie, interview (sept. 2012)


Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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