Faut-il dater de Brejnev la fin de l'URSS ?
N. Werth est l'un des meilleurs spécialistes de l'URSS. Depuis la chute de "l'empire du mal" il a travaillé sur les archives de l'époque stalinienne nouvellement accessibles, il publiera à ce sujet plusieurs livres très instructifs sur le stalinisme au quotidien.
Avant cela il avait publié une remarquée "Histoire de l'URSS" (datée de 1990) juste avant la liquidation du pays mais sans entrevoir toutefois l’issue fatale des « réformes » de Gorbatchev.
Que faut-il retenir de ce travail ? Plusieurs éléments cruciaux pour l'histoire de l'URSS, d'abord le caractère irréformable et scandaleux du tsarisme du début du XX°s : un régime absolument indéfendable et voué à payer au prix fort ses multiples erreurs et massacres de mécontents (juifs, ouvriers, etc.). Il s'écroulera tout seul en 1917 sans même que les forces politiques révolutionnaires n'interviennent (elles ont été dispersées après le début de la guerre)...
La période stalinienne confuse et terrible est bien expliquée aussi avec son caractère de "guerre civile" perpétuelle et le rôle de Staline comme arbitre général d'un système violent et en déséquilibre, surtout vis-à-vis de sa propre population. Les ouvriers et les paysans étant, en quelque sorte, les premières victimes du système.
L'analyse des tentatives brouillonnes de Khrouchtchev est aussi brillante et claire.
Reste le récit de la période brejnévienne, clef de la fin de l'URSS où le système se stabilise autour de notables rouges inamovibles, vieillissants et surtout incapables de se réformer autrement qu'en paroles... Une institutionalisation des fiefs et des coteries rivaux entre eux mais complices dans un immobilisme qui laisse le pays s'enfoncer dans une crise aux causes et conséquences multiples. La démographie déclinante du pays est une des clefs de la fin de l’URSS, de même la fin de la tyrannie au profit d’une dictature molle moins meurtrière mais laissant les forces centrifuges agir.
Même si l'édition de 1990 conclut sur Gorbatchev et ses "révolutions" on peut dater de Brejnev la fin prochaine du système non performant et sans boussole dans un monde déjà gagné par le libéralisme, l'endettement et les nouvelles technologies…
Lien : Staline et son système de N. Werth