Le seigneur des tribus (livre)
Un livre érudit sur l'islam originel...
La violence terroriste abjecte de Daesh et autres groupes interroge. Si expliquer c'est déjà excuser la démarche est périlleuse mais comprendre n'est jamais inutile. Surtout si on pense qu'il existe un "vrai" islam à opposer à la barbarie actuelle.
Par ces temps troublés j'ai lu le volumineux travail de J. Chabbi qui, en 1997, a publié un gros ouvrage sur la question. Dans "Le seigneur des tribus" elle traite de l'islam des origines : un nouveau monothéisme à l'époque même de Mahomet.
L'ouvrage n'est pas d'un abord facile : citations, traductions, parenthèses, crochets et autres notes compliquent la lecture et rebutent le lecteur peu habitué aux paragraphes de plusieurs pages... Mais ce livre analyse loin des passions et des dogmes le texte coranique pour ce qu'il est : un texte sacré mais aussi un condensé d'une époque et d'une société.
Et, loin des élucubrations intégristes, on chemine vers l'islam originel. Et l'auteur nous assène plusieurs vérités surprenantes tirées directement du Coran et non des références ultérieures.
Il semble que le Mahomet de cette époque
se soit considéré comme un prédicateur
Il semble que les sourates "révélées" à la Mecque ont été bien longtemps une simple dispute religieuse entre Mahomet et son clan. Ce dernier se voulait traditionnel et polythéiste tandis que le mari de Khadidja professait un monothéisme fortement influencé par le judaïsme et sa continuation chrétienne. Il semble même que le Mahomet de cette époque ne se soit pas considéré comme autre chose qu'un prédicateur, pas vraiment un prophère ni même un initié. Cela expliquerait la tentative de conciliation induite par les versets dits "sataniques" quand Mahomet essaya de concilier dieu unique et trio polythéiste local... C'est son importance politique ultérieure et surtout la littérature post-coranique qui va en faire un prophète et un être parfait...
A cette époque on ne parle même pas de l'archange Gabriel (seulement cité 3 fois dans le Coran et de façon tardive) et fort peu du paradis. Au début la récompense des croyants après la mort est juste de "rejoindre les siens". Rien de plus et surtout pas la promesse d'une orgie de vierges... Même chose pour les sacrifices d'animaux en principe interdit mais pratiqué par Mahomet avec des chamelles et nullement avec des moutons. C'est à Médine que les choses se politisent plus nettement (de 622 à la mort de Mahomet en 632) : Mahomet et le Coran légifèrent...
Mahomet représenté (représentation perse du XVI°s)
Le Coran de La Mecque (de 610 à 622) est fortement emprunt de vocabulaire tribal et aussi de traces des disputes entre Mahomet et ceux de son clan en butte à ses affirmations. Certes les idées monothéistes existaient mais Mahomet gênait non par ses idées mais plutôt par le fait de compromettre son clan dans des querelles théologiques toujours malvenues dans une cité aux équilibres tribaux instables. Ainsi trouve-t-on nommé (et maudit) Abou Lahab, oncle de Mahomet, qui manigença pour l'expulser de la ville. Les critiques des opposants raisonnent aussi dans le Coran comme traces du débat.
Si la littérature islamique ultérieure parla d'une tentative d'assassinat, de poursuite dans le désert et d'une survie miraculeuse... L'étude du Coran ne mentionne qu'une halte dans le désert avec un seul autre homme de la tribu, sans doute Abou Bakr. Dans les moeurs de l'époque le banissement du clan et de la cité ne nécessitait pas la mise à mort car celle-ci pouvait entraîner une vengeance. Cette fuite en 622 marquera plus tard le début de l'Hégire, le calendrier musulman. In situ c'est peu de choses...
L'islam des origines est un discours
monothéiste dans une société donnée
J. Chabbi affirme que Mahomet ne fut jamais qu'un chef tribal qui a réussi à fédérer les tribus non vraiment par la guerre mais plutôt par un accord général et de longues palabres. C'est à peu près tout. Le reste, tout le reste, n'est que construction politique ultérieure quand les premiers empires doivent fédérer les nouveaux musulmans autour d'un projet politique fort et surtout non tribal. C'est ainsi que Tabarî écrit les hadiths (anecdotes exemplaires données pour vécues par Mahomet) comme normes et récits qui ont créé un Mahomet pur et parfait au service d'une idéologie politique impériale. Tabarî est un perse converti qui meurt en 923. Il ne sera pas le seul à écrire ou réécrire l'Histoire.
Du coup le "vrai" islam n'existe pas. L'islam des origines est un discours monothéiste dans une société tribale. Le reste, n'est que politique et lutte politique. Comme ici, comme ailleurs.
Le Coran est-il violent ? (lien)
Date de dernière mise à jour : 24/02/2016